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Avec le départ de Moghalu, l’ASG peut redéfinir la gouvernance africaine

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L’African School of Governance (ASG), basée à Kigali, aborde un tournant décisif. Le professeur Kingsley Moghalu a quitté son poste de vice-chancelier la semaine dernière, évoquant des « tensions autour de la gouvernance de l’institution, ainsi que de son indépendance académique et organisationnelle », après seulement neuf mois à la tête de l’école.
Dans une publication sur X, Moghalu a affirmé avoir « trimé » pendant ces neuf mois, listant au passage plusieurs de ses « accomplissements ». L’ASG, de son côté, a mis l’accent sur la valeur d’« humilité » dans son communiqué, laissant transparaître un possible décalage de valeurs. Plutôt qu’un échec, ce départ peut être saisi comme une opportunité en or : celle pour l’ASG d’affirmer davantage sa mission — inspirer une nouvelle génération de leaders africains. Sur un continent débordant de promesses, ce moment pourrait être l’étincelle qui enclenche un véritable renouveau.

Un différend de valeurs ?

Le conseil d’administration de l’ASG réunit un éventail impressionnant de talents africains et internationaux. La mission de l’école est claire : former des leaders ancrés dans les réalités du continent, capables d’y répondre avec des solutions façonnées par son histoire, ses valeurs et ses défis propres. Le Master en Administration Publique (MPA) est son programme phare, bientôt complété par un MPA pour cadres et des formations spécialisées. L’objectif : diplômer 1 000 leaders en cinq ans.

Parmi les réalisations mises en avant par Moghalu, figure d’abord l’« Africa Tour » du président de l’ASG, au cours duquel il a visité six pays et rencontré plus de 60 personnalités — ministres, diplomates, capitaines d’industrie — afin de positionner l’école sur l’échiquier continental. Un passage nécessaire pour une institution encore jeune, surtout lorsqu’elle se donne pour ambition de proposer quelque chose de différent. L’ASG entend offrir une formation profondément africaine, en rupture avec les carences des modèles actuels d’enseignement supérieur.

Mais le ton employé par l’ASG dans sa communication autour du départ de Moghalu — en insistant sur l’« humilité » — laisse deviner un malaise. Peut-être que son style très médiatisé a été perçu comme une mise en avant de sa personne, au détriment de l’institution. Or, dans une école qui se veut pépinière de leaders humbles, au service du bien commun, le culte de l’ego a peu de place. Si le nœud du problème réside bien dans une divergence de valeurs, comme tout semble l’indiquer, il faudra une vraie finesse dans le choix du ou de la prochaine vice-chancelier·e. Le conseil, avec l’expertise dont il regorge, est bien armé pour désigner une figure capable de porter la vision de l’ASG, tout en gardant l’institution au cœur du projet.

Miser sur la jeunesse, encore et toujours

La deuxième réalisation mentionnée par Moghalu est le lancement — « avec grand succès », selon ses propres termes — d’un programme exécutif baptisé Transforming Countries: Becoming the Leader Your Country Needs (8–10 juillet 2025), qui a rassemblé 20 personnalités de haut vol : anciens Premiers ministres, présidents de cours suprêmes, venus de 15 pays africains.

Là encore, dans un esprit d’humilité, le niveau de succès devrait être jugé par les pairs, non par l’auteur lui-même. Mais au-delà des mots, il y a une question de fond : la crédibilité de l’ASG repose-t-elle sur la célébration du passé ou sur la préparation de l’avenir ? Le programme en question s’appuyait largement sur des élites à la retraite ou en fin de carrière. Prestigieux, certes, mais ce n’est pas ce qui fera de l’ASG une force de transformation. Si l’école devient une escale mondaine pour grandes figures, elle risque de passer à côté de son ambition fondatrice.

L’ASG doit former des leaders capables de guider l’Afrique jusqu’en 2050 — des femmes et des hommes qui ont encore 20 à 30 ans d’impact devant eux. Il faut donc cibler des professionnels entre 35 et 45 ans, avec suffisamment d’expérience pour enrichir les échanges, mais encore assez jeunes pour remettre en question les certitudes établies. Un ancien Premier ministre peut illuminer une salle, mais il ou elle aura bien plus d’impact comme intervenant ou mentor que comme étudiant.

La jeunesse est un impératif. L’Afrique a la population la plus jeune au monde : plus de 60 % de ses habitants ont moins de 25 ans. Les futurs diplômés de l’ASG devront savoir dialoguer avec cette génération, comprendre ses aspirations, ses colères, sa culture numérique. En formant dès aujourd’hui des cadres appelés à influencer les politiques publiques pendant encore des décennies, l’ASG peut bâtir un véritable vivier de décideurs visionnaires.

Sortir du carcan colonial

L’autre grand chantier de l’ASG est de repenser l’enseignement supérieur africain dans son ensemble. Trop souvent, l’Afrique a reconduit les schémas hérités de la période coloniale, produisant des technocrates capables de faire tourner les machines, mais rarement de les réinventer. Depuis les années 1980, les Programmes d’Ajustement Structurel ont érigé l’efficacité en totem, au détriment de la pensée critique. Résultat : des leaders à l’aise avec les chiffres, mais déconnectés du ressenti des populations.

Ces « technocrates » formés à la dure école de l’efficacité sont souvent d’excellents gestionnaires, mais ils peinent à comprendre les dynamiques sociales, les réalités géopolitiques ou les soubresauts culturels. Imaginez une ministre des Finances qui maîtrise parfaitement les mécanismes de l’inflation, mais ne perçoit pas la colère qui gronde à cause de ses mesures d’austérité. Ou un ministre des Affaires étrangères expert du G20, mais incapable de sentir venir une crise régionale. Voilà le piège technocratique : performant sur le papier, déconnecté du terrain.


L’ASG a les moyens de rompre avec cette logique, en formant des décideurs à la fois compétents, lucides et enracinés. Des leaders capables d’anticiper les transformations du monde au lieu de simplement y réagir. Un cursus nourri d’histoire africaine, de sciences sociales et d’études de cas concrètes pourrait faire de l’ASG un véritable phare pour l’avenir.

Une école ou un mouvement ?

Une question mérite d’être posée : pourquoi un Master en Administration Publique, et non en Politiques Publiques ? L’administration publique forme à la gestion des ressources, des processus, des structures. C’est utile, mais ce n’est qu’une partie du problème. Les politiques publiques, elles, traitent des grandes orientations : comment lutter contre la pauvreté, relever le défi climatique, réussir l’intégration régionale ?

L’administration publique reste souvent cantonnée à la gestion de l’existant. Or, l’Afrique a besoin de leaders capables de remettre en cause cet existant. Un Master en politiques publiques pousserait les étudiants à penser par eux-mêmes, à analyser les dilemmes, à concevoir des solutions adaptées au continent. Ce serait une manière concrète d’incarner le changement de paradigme que l’ASG promet.

Un nouveau départ

Le départ de Moghalu, loin d’être une perte, est une occasion de rebond. Pour lui, c’est l’opportunité de prendre du recul, de se repositionner dans son engagement pour l’Afrique. Pour l’ASG, c’est le moment de consolider ses fondations et de viser encore plus haut. Avec un conseil d’administration de haut niveau, elle dispose des moyens de ses ambitions. La voie est tracée : choisir un leader profondément aligné sur la mission de l’école, cibler les professionnels en milieu de carrière, et repenser le contenu pédagogique en rompant avec l’héritage technocratique, au profit d’une vision politique ancrée dans les réalités africaines.

L’ASG ne devrait pas être simplement une école, mais un mouvement. Un mouvement pour refonder le leadership africain. Elle a l’occasion de montrer la voie — pas seulement pour Kigali ou la région, mais pour l’ensemble du continent.

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