L’état de nos systèmes de santé en Afrique fait l’objet d’un débat passionné. Plus d’une fois, les Africains ont dénoncé la tendance de l’élite à se faire soigner dans les pays développés au lieu de construire les infrastructures nécessaires chez eux. Dans d’autres cas, un nombre croissant de nos concitoyens sont allés se faire soigner dans des pays tels que l’Inde, ce qui a amené les Africains à se demander pourquoi le continent ne pourrait pas lui aussi bénéficier du tourisme médical. Il s’agit d’une question tant sanitaire qu’économique. Le tourisme médical s’inscrit dans une logique qui vise à positionner l’Afrique dans les chaînes de valeur plus élevées de l’économie mondiale. Toutefois, pour que le continent devienne une destination du tourisme médical, la stratégie de l’Afrique doit viser à résoudre l’équation du triangle de fer de tout système de santé : le coût, l’accès et la qualité. L’objectif est de couvrir d’abord les Africains. Alors, et seulement alors, l’Afrique commencera à attirer les étrangers.
Toute réalisation majeure dans un secteur aussi important que la santé et à l’échelle nationale/continentale ne peut être réalisée par un coup de chance ; résoudre l’énigme des soins de santé et faire de l’Afrique une destination pour le tourisme médical doit relever d’une stratégie de leadership réfléchie, intentionnelle et ciblée, soucieuse d’investir et de faciliter les investissements dans trois axes principaux : l’éducation médicale locale ; la fabrication locale de médicaments à brevet ouvert, de vaccins et d’équipements de santé; et la collaboration entre les parties prenantes africaines (du secteur de la santé).
Il n’y a jamais eu d’aspiration au tourisme médical sans un personnel de santé local efficace. Chaque pays africain devrait se préoccuper de dispenser un enseignement médical, même jusqu’au niveau des spécialités médicales, et ce dans l’intérêt de notre population. Cela nécessite un investissement public substantiel, car il s’agit d’une entreprise coûteuse et à long terme. La formation de professionnels de la santé au moyen de prêts publics subventionnés, remboursés en travaillant pour le gouvernement, est une solution traditionnelle et réaliste d'(auto)financement des soins de santé, qui permet à des personnes qui n’y auraient pas accès autrement d’accéder à une formation dans le domaine des soins de santé. En même temps, cette stratégie réduit les processus coûteux tels que les déplacements des Africains à l’étranger pour des soins médicaux. Une couverture sanitaire adéquate nécessite la décentralisation de l’enseignement et des infrastructures médicales afin d’apporter les soins médicaux de base et spécialisés à la population plutôt que d’attendre qu’elle vienne les chercher. Seuls des dirigeants réfléchis peuvent rendre un tel système opérationnel.
Deuxièmement, et c’est tout aussi important, l’Afrique doit insister sur la fabrication locale des équipements de santé. La pandémie de Covid-19 nous a appris la valeur de la fabrication locale en termes de couverture et d’accessibilité rapide aux médicaments et équipements médicaux essentiels. En outre, la fabrication locale a un impact considérable en termes de coût-efficacité sur la disponibilité des produits, car elle supprime les coûts d’importation et les goulets d’étranglement. Les partenariats public-privé sont essentiels à la mise en place d’un système de santé efficace et au développement du tourisme médical. Les exonérations fiscales et les dons de terrains pourraient être certains des avantages majeurs que le gouvernement peut accorder aux entrepreneurs locaux du secteur de la santé, y compris les universités médicales, les sociétés pharmaceutiques, les chaînes d’hôpitaux, etc.
De plus, dans ce processus, la collaboration interafricaine doit être comprise comme la création de plateformes permettant de partager les résultats de la recherche, d’échanger des connaissances et des compétences et de développer les opportunités commerciales dans le domaine de la santé. Ces plateformes pourraient notamment mettre fin, ou du moins réduire, les effets néfastes de la fuite hémorragique des cerveaux africains dans le domaine de la santé, qui se produit depuis des décennies. À cet égard, le coût financier des médecins africains qui quittent l’Afrique subsaharienne est quantifiable. Par exemple, selon la Revue du Praticien (British Medical Journal), “l’Afrique subit 24 % du fardeau mondial de la maladie, alors qu’elle ne dispose que de 2 % de l’offre mondiale de médecins et de moins de 1 % des dépenses en santé mondiale”.
Leçons tirées d’autres expériences
Le tourisme médical en Inde a fait l’objet de nombreuses études de cas dans le monde. Il croît à un rythme de 30 % par an et est actuellement estimé à 5-6 milliards de dollars américains, avec une projection de croissance jusqu’à 13 milliards de dollars américains d’ici 2022.
En plus d’investir dans des installations de pointe et de former les prestataires de soins de santé, le gouvernement indien, par l’intermédiaire du Ministère du Tourisme et du Ministère de la Santé et du Bien-être familial, a mis en place des visas médicaux (M-visa), qui permettent aux touristes médicaux de se rendre en Inde pour une période spécifique ou pour des entrées multiples si nécessaire. La plupart des hôpitaux privés ont utilisé le visa M à leur avantage en élargissant leurs forfaits médicaux afin d’inclure des réductions sur les coûts de voyage et d’hébergement pour le personnel médical. Le caractère abordable des soins médicaux spécialisés en Inde s’explique principalement par l’efficacité du personnel de santé formé localement, par les médicaments et les équipements haut de gamme fabriqués localement, ainsi que par les facilités et les incitations offertes par le gouvernement.
Pour illustrer l’impact de la fabrication locale de médicaments sur les soins aux patients, l’Inde fabrique des produits pharmaceutiques génériques à un coût bien inférieur à celui de la plupart des pays occidentaux. Par exemple, Cipla pharmaceuticals, l’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques indiennes, a réduit le coût des médicaments antirétroviraux contre le VIH/SIDA à moins d’un dollar par jour, faisant passer le coût des médicaments antirétroviraux (ARV) par personne d’environ 12 000 dollars à moins de 365 dollars par an.
Le ministère indien du commerce et de l’industrie ne s’est pas contenté de mettre à la disposition des personnes à la recherche de soins médicaux une plateforme numérique comprenant des informations sur les voyages et les hôpitaux. Il a également fait un effort supplémentaire pour s’assurer que des partenariats dans le domaine de la santé soient établis avec l’Afrique en 2002 grâce à son programme Focus sur l’Afrique (Focus Africa), qui comprend l’accès aux produits pharmaceutiques, entre autres articles commerciaux.
Le gouvernement sud-africain, quant à lui, s’est rendu compte qu’il existait une énorme demande de tourisme médical intra-régional Sud-Sud, bien plus importante, en termes de nombre et d’argent, que le mouvement Nord-Sud. Ces mouvements ont principalement eu lieu entre des institutions médicales privées qui envoient des cas compliqués ou des personnes qui voyagent individuellement à la recherche de soins médicaux vers des institutions/installations médicales où elles peuvent obtenir de l’aide. Cet afflux important de touristes médicaux informels, en particulier en provenance des pays voisins, a contraint le gouvernement sud-africain à établir des accords pour les voyages médicaux vers ses hôpitaux et cliniques publics par le biais d’accords inter-pays afin de récupérer le coût du traitement des non-résidents.
Bien que des améliorations soient encore possibles, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Ghana sont de bons exemples d’attraction interrégionale du tourisme médical, car ils jouent un rôle majeur dans leurs régions respectives.
Les principaux facteurs contribuant à un tourisme médical solide sont variés, allant de la stabilité politique à la facilitation des voyages. Ils comprennent également les investissements publics et privés dans les infrastructures de santé, l’accréditation internationale et les normes de qualité, les procédures médicales à faible coût, la sécurité sociale et la stabilité, de bonnes infrastructures touristiques, l’innovation en matière de soins de santé et les technologies médicales de pointe, un personnel expérimenté, entre autres. Ces objectifs ne peuvent être atteints que dans un climat de volonté politique claire.
La dentisterie, la chirurgie esthétique, orthopédique et cardiovasculaire, le traitement du cancer, les scanners et tests spécialisés et reproductifs, les examens de santé et les seconds avis figurent parmi les spécialités les plus recherchées par les touristes médicaux du monde entier.
Pour la plupart, le tourisme médical repose sur la capacité des prestataires de services touristiques et des pays à optimiser l’expérience du patient tout au long de son parcours médical déjà difficile. Une présence en ligne, des visas médicaux rapides, le coût des forfaits médicaux, les coûts de voyage, le séjour à l’hôpital, les frais de chirurgie et le coût d’hébergement de l’accompagnateur sont quelques-uns des facteurs fondamentaux qui influencent l’attraction des touristes médicaux.
En effet, les soins de santé ne se limitent pas à la santé ; ils font partie intégrante de l’économie. Et plus tôt les dirigeants africains le comprendront, plus proche sera la réalisation d’un tourisme médical attrayant en Afrique.