Certains des plus grands vols d’œuvres d’art de l’histoire de l’exposition moderne ont eu lieu dans les musées les plus “sécurisés” du monde. Cette réalité soulève de sérieuses inquiétudes quant au retour récent et très médiatisé de certains objets d’art volés en Afrique.
La plupart des pays africains ne disposent pas de musées hautement sécurisés et technologiquement avancés pour abriter les artefacts restitués. Il est déconcertant que les œuvres d’art africaines soient renvoyées sans aucune forme de réparations financières attachées pour la construction de structures garantissant leur sécurité. Les musées et les institutions qui ont abrité ces artefacts en ont tiré des avantages économiques considérables pendant des années. Comment se fait-il qu’il y ait autant de tapage autour du fait qu’ils soient restitués sans aucune forme de compensation financière ou de plans de sécurité en place ?
Il est donc essentiel d’exiger que les artefacts volés à l’Afrique ne soient pas rendus orphelins des bénéfices économiques accumulés par les pays qui les détenaient pendant des décennies. Les réparations doivent aller de pair avec la restitution des artefacts volés. Les fonds provenant du paiement des réparations seront investis dans la sauvegarde des artefacts et dans la reconstruction du secteur artistique dans les pays, villes et communautés d’Afrique concernés.
Dorénavant, les demandes de restitution des artefacts volés à l’Afrique doivent être assorties d’une insistance sur le paiement de réparations ; à défaut, l’exercice tout entier est tourné en dérision et perpétue l’injustice même qu’il vise à réparer.
Les artefacts restitués sont le produit du premier pillage de l’espace artistique africain, mené par des acteurs étatiques européens et certains acteurs non étatiques. Au cours de cette première vague de vols, un nombre considérable d’artefacts ont abouti dans des musées et d’autres espaces connus et traçables de l’hémisphère occidental, rendant possible leur retour en Afrique.
Cependant, le nouveau vol envisagé qui suivra le retour des artefacts sera cette fois la prérogative clandestine d’individus non traçables et de réseaux souterrains disséminés à travers le globe. Les implications sont inquiétantes pour l’Afrique. Pour éviter cette tragédie, des mesures peuvent être prises aux niveaux communautaire, national et régional en ce qui concerne la sécurisation les artefacts africains restitués et en cours de restitution.
Nous commencerons par les solutions facilement applicables : il s’agit des mesures de sécurité qui peuvent être prises immédiatement pour protéger les artefacts qui ont déjà été restitués ou ceux qui sont sur le point de l’être. Étant donné qu’il est généralement préférable que ces artefacts soient restitués aux communautés d’où ils proviennent, la police de proximité sera la première à s’occuper de leur préservation et de leur sécurité. Les membres de la communauté devront être correctement sensibilisés à l’importance, à la signification et à la valeur des artefacts. Ils devront également être bien équipés et formés aux stratégies de police de proximité et de surveillance de quartier.
En effet, l’implication des communautés est cruciale à la préservation des artefacts africains. Lorsqu’en 2012, les djihadistes ont envahi Tombouctou et cherché à détruire les centaines de milliers de manuscrits conservés à la bibliothèque nationale, c’est la police de proximité financée par des fonds internationaux et dirigée par le célèbre bibliothécaire de Tombouctou, Abdel Kader Haidara, qui a préservé les manuscrits anciens. Abdel Kader, en étroite collaboration avec les membres de la communauté, a utilisé plusieurs stratégies pour protéger les manuscrits des fondamentalistes salafistes qui les considéraient comme des anathèmes. Lorsque les tactiques communautaires n’ont plus suffi, les membres de la communauté, toujours sous la houlette d’Abdel Kader, ont collectivement conçu des moyens d’expédier les manuscrits en lieu sûr à Bamako, où ils se trouvent encore aujourd’hui.
Une autre option plus élaborée est celle d’un arrangement supranational, où, par exemple, l’Union africaine pourrait intervenir pour assurer la sécurité de ces artefacts restitués. Une gestion collective des artefacts restitués constituera un grand pas dans la bonne direction, en ce qui concerne l’idée d’unité continentale. De nombreux nationalistes africains ont envisagé la création des États-Unis d’Afrique comme la stratégie la plus pratique pour le progrès de l’Afrique. Selon Kwame Nkrumah, “aucun acte sporadique ni aucune résolution pieuse ne peut résoudre nos problèmes actuels. Rien ne sera utile, sauf l’acte uni d’une Afrique unie. Nous avons déjà atteint le stade où nous devons nous unir ou sombrer dans cette condition…”.
L’Union africaine peut recourir à plusieurs stratégies pour sécuriser les artefacts restitués. Prenons, par exemple, la construction de musées régionaux de classe mondiale dans certaines villes africaines où ces œuvres d’art seront conservées. Les recettes de ces musées seront partagées entre les communautés auxquelles ces œuvres d’art ont été initialement volées. Des fonds seront également mis à la disposition des ainés, des étudiants, des chercheurs et des membres de ces communautés pour leur permettre de voyager, de travailler, d’organiser des conférences ou des réunions autour de leurs artefacts ancestraux. Plusieurs occasions seront créées de temps à autre pour que ces artefacts soient transportés dans leurs maisons ancestrales afin d’y être exposés. Un pourcentage des recettes de ces musées servira à financer l’Union africaine, qui, c’est bien connu, manque de fonds, car de nombreux pays africains ne paient pas leurs cotisations.
En outre, une université panafricaine des Arts pourrait être créée pour abriter les musées qui conserveront les artefacts restitués. De cette manière, les recettes provenant des artefacts dépasseront les gains économiques pour atteindre des bénéfices intellectuels plus durables, intergénérationnels et de grande envergure.
Plutôt que de procéder à la restitution d’artefacts de manière morcelée, désorganisée, et accompagnée de fanfares médiatiques, sans réparations financières, les gouvernements africains et l’Union africaine devraient élaborer une stratégie proactive et exiger un exercice plus concerté. Il faut en même temps insister sur une demande soigneusement calculée de réparations financières à la suite de la restitution de ces artefacts. Lorsque ces artefacts seront restitués, ils devront être conservés dans un lieu sûr et les réparations devront être immédiatement investies dans la construction de musées et de l’Université panafricaine des Arts à travers le continent.
L’idée étant que les communautés auxquelles ces artefacts ont été volés puissent à nouveau accéder à leur patrimoine ancestral sans entrave, les communautés auxquelles d’importantes collections ont été volées devraient être une priorité absolue en ce qui concerne la création de musées d’art et d’universités panafricaines des Arts dans les villes d’Afrique. L’ancien royaume du Bénin, aujourd’hui situé dans l’État d’Edo au Nigeria, en est un bon exemple. L’État d’Edo est un candidat de choix pour la création d’une Université panafricaine des Arts, où l’on pourrait construire un musée qui abriterait non seulement les arts du Bénin, mais aussi d’autres formes d’arts.
En conclusion, l’Afrique peut, une fois de plus, devenir un lieu de recherche et de développement durable dans le domaine des arts. Pour reprendre les mots de Sa Majesté Impériale Hailé Sélassié I, ancien empereur d’Éthiopie, nous avons besoin d’une “organisation africaine unique et forte par laquelle la voix unique de l’Afrique peut être entendue, au sein de laquelle les problèmes de l’Afrique peuvent être étudiés et résolus”. L’Union africaine, en collaboration avec les gouvernements et les communautés d’Afrique, peut promouvoir le retour planifié des œuvres d’art volées à l’Afrique avec une compensation totale, qui sera investie dans le développement de l’espace artistique du continent.