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Que se passe-t-il au Kenya ?

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Ces derniers jours ont été critiques au Kenya, les manifestations hebdomadaires contre le gouvernement devenant de plus en plus belliqueuses, et les membres du gouvernement eux-mêmes étant de plus en plus perturbés par ce qui se passe. Surtout, la confusion, la tension et l’inquiétude apparentes continuent d’exposer le point faible du Kenya : une société guidée par une classe moyenne majoritairement ignorante mais aspirant au « succès » défini par l’asservissement à nos seigneurs et au regard occidental plutôt que par l’initiative, la créativité ou l’industrie.

J’ai déjà écrit sur “l’anxiété dans les quartiers des esclaves” et sur le fait d’être “perdu dans l’obscurité” en référence à la situation actuelle du Kenya, toutes ces deux thématiques étaient liées par le thème commun de l’ignorance, la menace la plus inquiétante pour la société kenyane d’aujourd’hui et le moteur sous-jacent de l’agitation dont le pays est actuellement le terrain. Pour preuve, de nombreux Kényans de tous horizons politiques et sociaux ont prôné la nécessité d’un “dialogue” ou ont appelé S.E. le président William Ruto et l’honorable Odinga à “s’asseoir et à parler”. Aucun de ces plaidoyers vides de sens n’inclut la moindre suggestion de ce dont les deux protagonistes devraient parler.

Tous les conflits, des conflits nationaux privés aux conflits militaires internationaux, se produisent autour de « pommes de discorde » claires, qu’ils soient centrés sur des problèmes ou des ressources. Ces éléments fondamentaux forment nécessairement la base de tout dialogue ou “traité” qui conduirait à une cessation des hostilités. Par conséquent, en restant vagues au sujet de ces “pommes de discorde”, ce à quoi les Kenyans qui protestent aspirent, c’est que nos «seigneurs» trouvent une sorte de solution à un problème que nous n’avons pas réussi à formuler. Ceci, à son tour, nous déchargera de la responsabilité de nous-mêmes, de nos processus de pensée et de notre comportement.

Pourtant, notre comportement laisse à désirer. Par exemple, nous nous préoccupons moins, voire pas du tout, des pertes matérielles subies par les Kényans ordinaires pendant les troubles. Nous semblons plus intéressés par les images “sauvages” exposées au regard occidental “civilisé”. L’opinion a semblé beaucoup chagrinée à propos d’images de moutons Dorper de race volés dans la ferme familiale Kenyatta et de pierres lancées sur la société East Africa Spectre parce que cela «effrayerait les investisseurs (étrangers)», mais pas à propos du pillage et de la destruction du supermarché Jamia et d’autres propriété des investisseurs locaux « noirs » à Kisumu et ailleurs.

Au contraire, l’enthousiasme suscité par la visite du sénateur américain Chris Coons montre à quel point nous cherchons désespérément à redorer notre image au yeux de l’occident. La “paix” que nous recherchons (même si nous attisons par notre ignorance les flammes d’un chaos insensé) n’a jamais inclus la justice. La classe moyenne cherche simplement un statut pour ses seigneurs respectifs, afin que chacun puisse trouver un point de référence externe qui lui permette de définir son statut social et de dissimuler ses faiblesses individuelles. Nous répugnons à nous regarder dans le miroir et à prendre des décisions sur ce que nous soutenons et pourquoi, sur ce qui est bon pour nous, nos enfants ou notre pays.

L’histoire regorge de récits de populations soumises à toutes sortes d’oppressions par des dirigeants absolutistes, mais nous voyons rarement des récits honnêtes sur le “luxe” ((faute d’un meilleur terme) de l’indolence intellectuelle qui accompagne le fait d’être assujetti. La liberté et l’autodétermination sont des conditions très appréciées pour lesquelles de nombreuses guerres ont été menées et des vies perdues tout au long de l’histoire, mais elles s’accompagnent d’un travail intellectuel et de décisions lourdes, dont ceux qui sont en servitude sont complètement exclus. Les vassaux, que ce soit par choix ou par contrainte, n’ont pas la charge de prendre des décisions, d’élaborer des stratégies ou d’en être responsables. Depuis une soixantaine d’années, le Kenya est une société féodale qui se défini comme une république. L’année dernière, nous avons soudainement fait face à un moment décisif lorsque les résultats des élections générales ont fracturé l’ordre féodal qui grinçait sous le poids de sa propre décadence. On pourrait se demander pourquoi les tribulations des nobles devraient agiter les roturiers, mais c’est malheureusement un facteur de la stratification sociale au Kenya où la classe moyenne définit largement son statut sociopolitique par rapport à la fortune de ses seigneurs politiques respectifs.

Par conséquent, lorsque la coalition Kenya Kwanza dirigée par le Dr William Ruto a remporté les élections générales, la classe moyenne kenyane a été largement désorientée. La majorité d’entre eux étaient des vassaux politiques de leurs seigneurs qui s’étaient regroupés au sein d’une coalition incontrôlable et peu regardante sur le droit. La classe moyenne, connue pour son apathie électorale, a soudainement trouvé sa voix dans les manifestations contre les résultats. À la suite de l’audition des pétitions électorales et de la confirmation des résultats, les protestations ont immédiatement commencé, visant des problèmes de gouvernance (valables) qui existaient sous l’administration précédente, mais qui n’avaient pas pourtant suscité ce genre de réaction. Tout d’un coup, des gens se sont mis à exprimer bruyamment leurs préoccupations concernant le critère ethnique dans les nominations au gouvernement, les dépenses publiques, la véracité (ou l’absence de véracité) des déclarations des biens des fonctionnaires, la dette extérieure, les performances économiques, etc. Toutes ces questions étaient sans aucun doute des préoccupations valables. Cependant, même si les performances de la nouvelle administration sont restées largement en deçà de la norme, elle n’a pas été en fonction assez longtemps pour laisser sa marque (positive ou négative).

Que se passe-t-il donc au Kenya ? S’agit-il simplement du “bruit” d’une société myope qui n’a pas su anticiper l’issue d’événements qui se sont déroulés en plein jour ? Les observateurs étrangers sont également déconcertés par les événements actuels parce qu’ils ont été constamment dupés par notre “mise en scène”. Grâce à notre industrie touristique très développée (ciblée par l’Occident) et à la crainte du “regard occidental”, notre façade de fonctionnalité se fissure ou s’estompe rarement. Même maintenant que nous avons un semblant de « cessez-le-feu », ce n’est pas le résultat d’une quelconque détente, car les manifestations elles-mêmes n’ont pas été motivées par des objectifs négociables cohérents. Le cessez-le-feu vise simplement à satisfaire le “regard occidental”, notamment en la personne du sénateur américain Chris Coons, qui est venu dans le pays le 29 mars 2023 pour ordonner aux parties en conflit de cesser les hostilités. Malheureusement, aucune des deux parties à ce conflit n’a vraiment envie de s’attaquer aux problèmes de fond qui affectent le commun des Kenyans.

Même le terme “engagement bipartisan”, aujourd’hui largement utilisé par la classe moyenne ignorante, est emprunté au lexique politique américain, où il est utilisé en référence aux discussions au sein d’un système de deux partis politiques ayant des points de vue opposés sur une question. Au Kenya, ce terme est difficilement applicable, car nous avons deux groupes qui discutent des différences personnelles de leurs dirigeants, car aucun des deux protagonistes n’a de politiques ou d’idéologies distinctes sur lesquelles des différences peuvent être établies. Nous ne devrions pas non plus surestimer notre importance en tant que pays, car les États-Unis ne se préoccupent pas des petites questions de clocher entre les politiciens kenyans. Ils sont davantage préoccupés par l’influence croissante de la Chine en Afrique, en particulier par le fait que leur “rempart” est-africain a au moins un minimum de stabilité que l’on oppose à l’Orient.

Le plus important, c’est que le “contrat féodal” a été rompu. Que cela se soit produit par commission, par omission ou par accident n’a pas d’importance, mais ce qui doit nous inquiéter, c’est la façon dont nos dirigeants des deux côtés utilisent le prolétariat comme un outil pour la réalisation de leurs ambitions. Ces politiciens savent qu’un prolétariat jeune, affamé et frustré peut être manipulé indéfiniment par le biais de la rhétorique politique. Les élites exposent leurs propres vulnérabilités par des combats incessants, pensant que les masses qui les regardent le font pour se divertir, plutôt qu’avec l’envie les déloger de leurs trônes et leur ôter les privilèges économiques et politiques dont ils jouissent depuis des dizaines d’années.

Dans ce processus, la majorité de la classe moyenne kényane se retrouvera bientôt politiquement marginalisée (si ce n’est pas déjà le cas) en raison de sa superficialité. Cela se manifeste douloureusement notamment par leur inquiétude soudaine et tapageuse concernant le “désordre” public occasionné par l’action de masse contre le désordre systémique de la gouvernance et du leadership qui prévaut depuis 2018 et dont ils ont été résolument inconscients. Ils ont intériorisé et intégré la croyance selon laquelle leurs lieutenants sont “sacrés” et ne devraient pas être touchés par les défis qui assaillent notre société parce que nous leur sommes en quelque sorte “redevables”. Par exemple, un rédacteur en chef, Mutuma Mathiu, a écrit un article d’opinion flatteur dans le Sunday Nation du 2 avril 2023, décrivant feu Jomo Kenyatta comme “notre étoile polaire à une époque de grande souffrance”. Il a également comparé Jomo à George Washington et l’invasion de la propriété de sa famille à la profanation d’un temple, soulignant fermement la profondeur de notre malaise intellectuel et l’esprit profondément enraciné de notre soumission adoratrice. Le lendemain du jour où le Rubicon a été franchi et où des propriétés appartenant à des lieutenants ont été prises pour cible, l’angoisse était telle que l’opposant Raila Odinga s’est rendu sur le site du vol de moutons, accompagné de ses assistants, pour manifester son indignation de manière éclatante. Cependant, aucune des brigades de l’opposition n’a jugé bon de se rendre à Kibra, un quartier pauvre de la ville où une église et une mosquée ont été attaquées pendant les émeutes, causant la mort de deux personnes.

Nous sommes une société qui, historiquement, a prospéré en cachant sa véritable identité derrière des masques usés et des mantras tels que “hakuna matata”. Cet article a été inspiré par la question que se posent ceux qui s’intéressent au Kenya : “Que se passe-t-il au Kenya ?” La réponse courte et simple est “Rien du tout”. Nos masques sont tombés et le monde a maintenant vu nos vrais visages.

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