Le regain d’intérêt mondial pour les droits communautaires offre à de nombreux pays africains un nouveau point d’analyse sur plusieurs questions. Certaines questions précédemment classées comme relevant uniquement de la conversation sur les droits de l’homme, lorsqu’elles sont examinées de manière critique, relèvent en fait de la sphère des droits communautaires. La défense des droits communautaires permettra aux sociétés africaines de décider collectivement de ce qu’elles souhaitent accepter ou rejeter dans le cadre de leur processus de socialisation et de l’évolution de leur culture, à un moment donné.
L’individualisme occidental et le concept des droits de l’homme sont étroitement liés et peuvent être rattachés aux mêmes processus historiques. Ils sont les résultats jumeaux d’un processus de reproduction qui définit la personne comme étant en compétition avec d’autres qui cherchent à la détruire. Toutefois, si les droits de l’homme signifient simplement le droit d’un être humain à exister et à être traité équitablement, il s’agit alors d’un concept traditionnel en Afrique. Les Africains accordent de l’importance à la vie de chaque membre de leur communauté.
Le concept des droits de l’homme, tel qu’il est actuellement propagé par les mécanismes occidentaux, a une signification différente. Dans l’interprétation occidentale des droits de l’homme, l’individu existe en vase clos et n’a aucun respect pour les conséquences de ses actes sur la conscience collective de la communauté. Comme le note le professeur Claude Ake, “[la] notion occidentale des droits de l’homme manque de concret, elle attribue des droits abstraits à des êtres abstraits”.
Dans la culture africaine, au contraire, la communauté a pour but de construire l’harmonie et de donner un sens à la vie. La communauté est donc considérée comme un aspect essentiel de l’existence d’un individu. La personne naît dans la communauté, ce qui signifie qu’elle en fera toujours partie. L’Ubuntu est un mode de vie fondé sur l’interdépendance, le communautarisme, la sensibilité aux autres, la présence à leurs côtés et l’attente de leur présence à nos côtés. Dans la philosophie traditionnelle africaine, la communauté est le principe directeur autour duquel la vie est organisée et vécue.
L’accent mis sur l’individualisme et l’interprétation occidentale des droits de l’homme, engendrés par la tendance mondiale au néolibéralisme, érodent rapidement cette orientation communautaire de la vie et des droits de l’homme. Pourtant, en tant qu’êtres humains, nous ne pouvons lutter contre la nature qu’à nos risques et périls. Dans The Hidden Life of Trees (La vie cachée des arbres), Peter Wohlleben décrit comment “les arbres d’une même espèce qui poussent dans un même peuplement sont reliés les uns aux autres par leur système racinaire”. L’auteur considère ainsi les arbres comme des “êtres sociaux” qui échangent de la nourriture avec leurs semblables et, dans certains cas, avec des rivaux. Lorsque plusieurs arbres travaillent ensemble, ils forment un écosystème qui tempère les extrêmes de chaleur et de froid, stocke beaucoup d’eau et crée beaucoup d’humidité. C’est généralement dans le cadre de ces relations communautaires que les arbres survivent jusqu’à devenir extrêmement anciens. Les humains, comme les arbres, ne sont capables de survivre et de prospérer que dans les complexités profondément enrichissantes que l’on trouve dans les diverses relations au sein d’une communauté fonctionnelle.
Selon Kwame Anthony Appiah, philosophe et théoricien culturel de premier plan, les Africains peuvent et doivent s’efforcer de comprendre et de s’imprégner des valeurs positives du monde moderne tout en conservant les valeurs et les coutumes qui les distinguent, telles que les droits communautaires. Pour Appiah, les droits communautaires ne doivent pas occulter le fait qu’il existe des problèmes individuels qui transcendent la famille, l’amitié ou même la citoyenneté. Cette prise de conscience signifierait qu’il faut accorder une importance appropriée à la vie de chaque personne et aux habitudes et croyances qui lui donnent un sens. Cependant, dans le cadre de cette compréhension, il reste essentiel de protéger l’idée de communauté et ce qu’elle représente, car c’est elle qui donne un sens à la vie et qui la rend digne d’être vécue.
Parmi les droits énumérés et généralement acceptés comme des droits de la communauté figure le droit des membres de la communauté à définir leur propre identité. Si les tendances culturelles, socio-psychologiques, religieuses et même historiques largement acceptées d’une communauté gravitent autour d’une orientation particulière, les communautés ont tout à fait le droit, selon cette interprétation, de chercher à construire leur identité autour de cette orientation. De nombreux Occidentaux, bien que fervents défenseurs des droits de l’homme individualistes, s’orientent vers les droits de la communauté lorsque l’occasion l’exige.
Prenons, par exemple, la question des opérations de changement de sexe pratiquées sur des mineurs aux États-Unis. Bien que l’on affirme que c’est un droit humain pour les mineurs de subir des opérations chirurgicales pour changer leur sexe de naissance, de nombreuses communautés se mobilisent contre les médecins et les scientifiques qui défendent cette théorie. Par exemple, le 27 mars, le Sénat de l’État de l’Idaho a adopté une loi interdisant aux mineurs de bénéficier de soins visant à confirmer leur sexe. En tant que communauté, la plupart des citoyens de l’État de l’Idaho ne sont pas convaincus qu’il soit acceptable de pratiquer des opérations de réassignation sexuelle sur des mineurs. Dans d’autres États, comme la Californie, ces opérations sont accessibles même aux mineurs de 13 ans.
En tant que communauté, de nombreux citoyens des pays africains ont certaines opinions sur la gouvernance, l’organisation sociale et d’autres aspects de l’existence et de l’identité humaines. Considérées à la lumière des droits des communautés, ces résistances communautaires en Afrique, comme dans le cas de l’Idaho, devraient être prises en compte et traitées avec respect. Il est humiliant et insensible d’imposer des sanctions et d’insulter une communauté parce qu’elle n’accepte pas immédiatement un concept qui ne lui est pas familier. Le changement est un processus. Harceler la majorité d’une communauté pour qu’elle intègre une idée à laquelle elle ne croit pas actuellement a de lourdes conséquences économiques, politiques, sanitaires, sociales, spirituelles et démographiques pour l’existence présente et future de cette communauté. C’est une pratique tyrannique qui exprime le plus profond manque de respect pour l’humanité et l’intelligence collectives.
L’introduction d’une idée demande beaucoup d’efforts, de temps et de réorientation. Le processus de changement de paradigme doit être constructif, s’engager de manière significative et comprendre les réalités existantes. Le reste du monde devra respecter les droits communautaires de centaines de millions d’Africains dans leur décision sur ce qu’ils souhaitent, pour l’instant, accepter ou non. Si les Occidentaux sont fermement convaincus de la réalité et de l’excellence de leurs idées, ils doivent respecter les règles d’engagement lorsqu’ils interagissent avec les Africains. Les droits communautaires des Africains concernant toute idée doivent être respectés.
Les communautés africaines, pour leur part, veilleront à développer constamment leurs connaissances et à se développer sur la base de ce qui est intrinsèquement bénéfique. C’est là que la recherche et l’ouverture à des voix diverses au sein des communautés deviennent essentielles.