Et si la résistance face au génocide en cours à Gaza était l’ultime lutte décoloniale du « Sud global », devenu désormais un contrepoids vital à la domination occidentale en déclin ?
Ni plus ni moins une lutte anti-coloniale
Malgré les efforts acharnés de la propagande médiatique occidentale depuis le 7 octobre dernier pour confondre oppresseur et opprimé, comme cela a été historiquement le cas sur la question Palestinienne, la vérité a fini par prendre le dessus. Ont été exposées et rappelées, via les réseaux sociaux notamment, les atrocités et injustices innommables subies par le peuple Palestinien ce dernier mois et surtout depuis 75 ans, mais aussi – de nouveau – la flagrante hypocrisie des « droits de l’homme » à l’occidentale. Le monde, consterné, observe en se demandant au nom de quelle humanité certaines élites dirigeantes peuvent-elles en arriver à soutenir « inconditionnellement » les crimes de masse perpétrés contre les Palestiniens.
Un élément essentiel mis en évidence par la guerre actuelle, même vis-à-vis d’une opinion publique relativement éloignée du sujet, est que ce « conflit », volontairement décrit par les médias occidentaux comme une situation complexe et embrouillée, n’est autre qu’un rapport de colon et de colonisé ; le peuple Palestinien étant dans une lutte anti-coloniale pour sa liberté et ses droits les plus fondamentaux. Rappelons que ces droits sont bafoués tous les jours par les autorités israéliennes occupantes, à l’encontre du droit international, aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie, cette dernière où le Hamas, présenté par ces mêmes médias comme responsable du malheur qui s’abat sur les palestiniens, ne gouverne pas.
On retrouve donc dans cette réalité les éléments intrinsèques au système colonial, à savoir l’exploitation, le pillage, et la violence. Un système imposant dans ce cas un régime d’apartheid, portant un projet de nettoyage ethnique et menant une véritable guerre médiatique pour tenter de propager des récits trompeurs et des lectures erronées de l’histoire.
Insistons toutefois sur le fait que les stratagèmes médiatiques pour faire haïr les opprimés et aimer les oppresseurs, comme dans une célèbre citation de Malcom X, ont visiblement du mal à fonctionner cette fois-ci. En témoignent le mouvement « Not in my name » des juifs, y compris des survivants de l’Holocauste ou leurs descendants, refusant toute association avec le projet politique sioniste et avec le massacre en cours, ou les déclarations politiques – certes très rares en Occident – de quelques leaders notamment irlandais ou australiens, ayant mené une défense de principe exemplaire des droits des Palestiniens. Mais aussi le citoyen lambda qui s’exprime, en toute conscience, à travers les mobilisations immenses dans les rues, les universités ou sur les réseaux, pour condamner la complicité de ses dirigeants, demander à lever le blocus sur Gaza, et surtout appeler à un cessez-le-feu d’urgence.
Violence et humanité sélective à l’occidentale
Certaines analyses géopolitiques parlent de l’éventualité d’un conflit régional aux conséquences désastreuses. Sommes-nous encore face à un conflit à grande échelle où tout le monde a à perdre, sur fond d’intérêts économiques et politiques occidentaux ?
Dans ce contexte, l’on peut se demander en analysant même de loin l’interventionnisme occidental ces deux dernières décennies, que ce soit la France en Afrique de l’Ouest, ou les guerres menées par l’OTAN en Afghanistan, Iraq, Libye, ou Syrie, pour ne citer que celles-ci : combien d’autres guerres doivent être menées et perdues par ces puissances au nom des soi-disant « valeurs occidentales » ? Combien de pays autrefois prospères doivent être anéantis pour ensuite venir qualifier ces interventions d’« erreurs » ? Et surtout contre quoi se bat l’Occident ? Une chose est sûre, il s’est toujours battu pour l’accès aux ressources afin d’asseoir son hégémonie économique et politique, en ayant systématiquement recours à la violence pour ce faire. Depuis le génocide des premiers peuples d’Amérique, jusqu’aux guerres barbares dont l’Europe a été le théâtre pas plus loin qu’au siècle dernier, en passant par les impitoyables guerres de colonisation et guerres par procuration.
A la violence s’ajoute un trait commun des principaux gouvernements occidentaux, à savoir l’humanité sélective, dont ladite communauté internationale a fait preuve de façon flagrante cette fois-ci, ce qui lui a valu un tonnerre de reproches de divers observateurs et décideurs, entre autres du Sud, dénonçant le « deux poids deux mesures ». En effet, les mêmes hauts dirigeants, médias et organisations internationales qui ont condamné de toutes leurs forces la guerre en Ukraine, ont préféré garder le silence, prendre des positions très timides sur le drame à Gaza, ou pire renouveler leur soutien aux crimes de guerre. Une asymétrie ressentie à tous les niveaux puisqu’en France, les manifestations pro-Palestiniennes continuent d’être réprimées par des sanctions et amendes importantes. Sans parler de l’hypocrisie de l’aide ou des promesses d’aide de ces mêmes puissances, alors que ce dont les Palestiniens ont besoin est d’abord l’arrêt immédiat des bombardements.
Face à ces incohérences, une indignation s’est également exprimée au sein même des institutions de pouvoir occidentales, à travers les démissions de hauts cadres par exemple des Nations Unies, ou encore du département d’Etat américain.
La violence et l’humanité sélective inhérentes au système occidental ne sont autres que des preuves d’un échec civilisationnel, annonciateur d’une fin de l’hégémonie occidentale, ou une « désoccidentalisation » du monde, notion qui revient souvent ces dernières années.
Décolonisation et alternatives
Nous observons un vent nouveau d’émancipation en Afrique de l’Ouest, une expansion des BRICS, la guerre en Ukraine, une dédollarisation progressive et un rôle prépondérant de la Chine dans l’économie mondiale, entre autres facteurs géopolitiques qui bouleversent les équilibres mondiaux et confirment le refus d’hégémonie occidentale. Dans la dynamique de mutation actuelle et du nouvel ordre mondial qui se dessine, l’Occident néolibéral ne serait-il pas en train de s’isoler dans sa cupidité et ses pratiques d’antan ?
Au-delà des facteurs géopolitiques, il est indispensable, d’un point de vue culturel, d’aller vers une décolonisation des imaginaires et de tous les aspects de la vie pour laisser place à ce que d’autres cultures ont à offrir à ce monde, puisqu’il est aujourd’hui manifeste que la culture de la compétition, du consumérisme et de la domination qui a accompagné l’ascension du capitalisme et de l’impérialisme occidentaux mène inévitablement vers l’impasse des guerres et du désastre écologique.
Il est temps d’entendre les aspirations profondes de justice sociale et environnementale de la jeune génération. Il est grand temps aussi que les sagesses ancestrales qui contrastent avec l’individualisme occidental, comme la philosophie africaine de l’Ubuntu, « je suis parce que nous sommes », aient le droit au chapitre, que ce soit dans notre système éducatif, nos manières de vivre et de vivre ensemble, et sur le plan international pour répondre à un nécessaire pluralisme culturel.
Pour revenir à la question Palestinienne qui restera sur la table tant que justice ne sera pas faite, n’est-il pas naturel, devant l’ampleur inouïe de la souffrance humaine infligée au peuple Palestinien depuis des semaines, que tous ceux qui ont connu un jour les affres de la colonisation et de la néo-colonisation en Afrique et ailleurs puissent dire d’une même voix – considérations de real politik à part – leur solidarité avec la Palestine dans sa longue résistance anti-coloniale ? Comme l’ont déjà fait plusieurs pays émergents, en Amérique latine, en Afrique au Nord comme au Sud du Sahara, etc.
Est-ce à ce point naïf de continuer à croire en l’émancipation et la dignité pour tous les peuples de ce monde ? Peut-être pas si le « Sud global », dans son hétérogénéité, décide de mettre ses divergences de côté, faire bloc, et construire l’alternative. La crise actuelle de la Palestine est sans doute l’occasion de canaliser la « rage » du monde arabe, l’indignation des pays du Sud et leurs diasporas, et de tous les partisans de la justice et de la paix, pour s’affirmer davantage sur la scène internationale, promouvoir des cultures et manières d’être alternatives, et devenir véritablement parties prenantes d’un nouveau monde multipolaire.