Le 3 novembre 2023, l’opération conjointe MONUSCO-FARDC SPRINGBOK a été annoncée lors d’une conférence de presse conjointe par Otávio Rodrigues de Miranda Filho, commandant de la force de la MONUSCO, et Guillaume Njike Kaiko, porte-parole de l’armée congolaise dans la région du Nord-Kivu. La décision de collaborer avec les FARDC dans une opération conjointe, dont les objectifs déclarés sont de “stopper toute velléité du M23 d’envahir Sake ou Goma” et de “défendre la population civile”, est paradoxalement le dernier exemple en date du mépris flagrant de la MONUSCO pour son mandat de maintien de la paix et les résolutions de l’ONU au cours des deux dernières décennies.
MONUSCO: une histoire marquée par l’échec et le mépris des résolutions de l’ONU et des accords de paix régionaux
Pour comprendre pourquoi SPRINGBOK est problématique à bien des égards, il faut examiner le contexte actuel d’hostilités armées dans lequel l’opération conjointe a été lancée. D’une part, il y a la coalition gouvernementale de la RDC, composée de :
- l’armée nationale congolaise (FARDC),
- les groupes armés intégrés, y compris les FDLR génocidaires (et leur prolongement en RDC, Nyatura),
- Les milices Maï-Maï,
- le NDC-R armé dirigé par Guidon Shimiray Mwissa qui est recherché pour des crimes, dans le cadre d’une collaboration nouvellement consolidée avec les FARDC suite à la signature de l‘accord de Pinga en mai 2022
- les réserves intégrées dans l’armée appelées “Wazalendo” après l’adoption du décret du Sénat de la RDC du 4 mai 2023, aujourd’hui largement identifiées comme diffusant une rhétorique anti-rwandophone,
- les plus de 2000 mercenaires européens engagés par le gouvernement de la RDC depuis 2022,
- l’armée burundaise qui continue à collaborer avec les FARDC,
D’autre part, il y a les rebelles du M23.
La décision de la MONUSCO de collaborer ouvertement, dans le cadre d’une opération conjointe, avec les FARDC, qui ont intégré les forces négatives susmentionnées, y compris le groupe génocidaire FDLR, et qui ont engagé des mercenaires européens, en dépit de la Convention de l’OUA du 3 juillet 1977 pour l’élimination du mercenariat en Afrique, démontre l’indifférence généralisée de la mission de maintien de la paix à l’égard des conventions internationales et des résolutions de l’ONU, de la vie des civils congolais et de la sécurité régionale. Ce n’est pas nouveau.
La MONUSCO n’a jamais suivi et mis en œuvre la plupart, sinon la totalité, des initiatives de consolidation de la paix et des accords régionaux depuis sa création en 1999. Prenons par exemple l’accord de cessez-le-feu de Lusaka de 1999, qui chargeait la mission de “surveiller le cessez-le-feu, d’enquêter sur les violations… et de désarmer, démobiliser et réintégrer les groupes armés”. Dans le cadre de cet accord, le gouvernement de la RDC avait la responsabilité supplémentaire de “désarmer, démobiliser et réintégrer les combattants, libérer les prisonniers et les otages, rétablir l’administration gouvernementale et [sélectionner] un médiateur pour faciliter un dialogue intercongolais ouvert à tous”. Aucune de ces missions n’a été accomplie, ni par la MONUSCO, ni par le gouvernement de la RDC.
Au contraire, depuis l’arrivée de la MONUSCO sur la scène en 1999, le nombre de groupes armés en RDC a augmenté de façon exponentielle. En fait, bien qu’elle soit la mission de maintien de la paix la plus coûteuse des Nations-Unies, il est aujourd’hui largement admis que la MONUSCO a failli à son mandat de désarmement et de démobilisation de tous les groupes armés opérant dans le pays. Pire encore, la MONUSCO n’a jamais mené d’opération militaire offensive contre le groupe génocidaire FDLR, qui a été explicitement identifié, par le biais de multiples résolutions des Nations unies, comme la principale cause d’insécurité et de conflit dans la région.
En fait, SPRINGBOK résume le mépris général de la MONUSCO pour une pléthore d’accords et de résolutions. Il s’agit notamment de :
- l’accord de Pretoria de 2002 sur le retrait des troupes rwandaises et le démantèlement des ex-FAR et des forces Interahamwe (FDLR) en RDC ;
- le Pacte de 2006 sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, signé par onze pays, “visant à fournir un cadre juridique régissant les relations entre ses signataires, par le biais de protocoles additionnels et de programmes d’action dans les domaines suivants : non-agression et défense mutuelle, démocratie et bonne gouvernance, coopération judiciaire, prévention et répression des crimes de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et de toutes les formes de discrimination” ;
- la déclaration d’intention du gouvernement de la RDC du 9 novembre 2007, publiée après que les représentants des gouvernements de la RDC et du Rwanda se soient rencontrés à Nairobi, s’engageant à adopter “une approche commune pour faire face à la menace que les ex-FAR/Interahamwe font peser sur la sécurité et la stabilité communes” ;
- la résolution SC/9275 du Conseil de sécurité du 13 mars 2008, dans laquelle le Conseil a exigé que “les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les anciennes forces armées rwandaises (ex-FAR/Interahamwe) et les autres groupes armés rwandais opérant dans l’est de la République démocratique du Congo cessent immédiatement de recruter et d’utiliser des enfants, libèrent tous les enfants qui leur sont associés et mettent fin à la violence basée sur le genre” ;
- la résolution CS/10326 du Conseil de sécurité du 8 juillet 2011 en application de la résolution 1533 (2004) concernant la République Démocratique du Congo, approuvant les mises à jour de la liste des personnes et entités des FARDC et des FDLR soumises à l’interdiction de voyager et au gel des avoirs.
Malgré toutes ces résolutions, accords de paix et déclarations d’intention, qui ont été violés à plusieurs reprises par les gouvernements successifs de la RDC, la MONUSCO n’a jamais cessé d’apporter son soutien aux FARDC. De fait, elle est devenue activement complice de ces violations, comme c’est le cas avec l’opération offensive conjointe qui vient d’être lancée.
Ce n’est pas parce que la MONUSCO n’est pas au courant de la collaboration des FARDC avec les forces négatives. Récemment, en mars 2023, le Secrétaire général Guterres a présenté son rapport semestriel sur la mise en œuvre du cadre du CPS de 2013 dans lequel il a indiqué que “Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) … sont restées actives dans l’est de la République démocratique du Congo”, notant “plusieurs affrontements entre les FDLR et le M23 dans le territoire de Rutshuru … en novembre et décembre” et soulignant que le 6 décembre 2022, “dans un communiqué, les FDLR ont déclaré leur engagement à se battre aux côtés des FARDC”.”
En isolant et en visant le M23 tout en déclarant son intention de défendre les territoires dans lesquels toutes les forces négatives enrôlées par le gouvernement de la RDC circulent librement, la MONUSCO rejette essentiellement tout espoir de résolution pacifique du conflit et de dialogue, que les dirigeants du groupe politico-militaire M23 n’ont cessé de réclamer depuis le début de leur rébellion active. Là encore, ce n’est pas nouveau.
Mise en œuvre sélective des résolutions de l’ONU par la MONUSCO
La résolution du 28 mars 2013 du Conseil de sécuritéSC/10964 a accordé à la MONUSCO le renouvellement de son mandat et a permis “la création de sa toute première force de combat “offensive”, destinée à mener des opérations ciblées pour “neutraliser et désarmer” le Mouvement du 23 mars (M23), ainsi que d’autres rebelles congolais et groupes armés étrangers dans l’est de la République Démocratique du Congo, en proie à des conflits”. Outre la condamnation du M23, la résolution avait condamné fermement les “Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) et tous les autres groupes armés, ainsi que les violences et les violations des droits de l’homme qu’ils continuent de commettre”. Elle a chargé la nouvelle brigade de mener des opérations offensives, unilatéralement ou conjointement avec les forces armées congolaises, “de manière robuste, très mobile et polyvalente” afin de perturber les activités de ces groupes. Pourtant, après avoir désarmé le M23 en 2013, la MONUSCO a refusé de poursuivre son mandat de désarmement et de démobilisation des autres groupes armés qu’elle était chargée de désarmer.
L’opération SPRINGBOK, tout en ignorant les résolutions de rétablissement et de consolidation de la paix susmentionnées qui avaient mandaté la MONUSCO pour neutraliser tous les groupes armés opérant dans l’est de la RDC, et pas seulement le M23, est conforme à l’histoire de la MONUSCO en ce qui concerne la mise en œuvre sélective de son mandat. On peut raisonnablement affirmer que la MONUSCO ne fait pas preuve de la volonté requise pour assurer le succès de son mandat. Au contraire, ses actions contribuent largement à maintenir la RDC dans un état d’instabilité.
En effet, il faut souligner que la rébellion du M23 a resurgi en 2022, après dix ans d’exil de ses dirigeants et de mise en sommeil du mouvement, et après 14 mois de négociations officieuses et infructueuses avec Kinshasa. Il est tout à fait remarquable que, bien que le gouvernement de la RDC ait à nouveau échoué à mettre en œuvre l’accord qui a mis fin à la rébellion en 2013, la MONUSCO choisisse de se ranger du côté de ce même gouvernement à un moment où il a enrôlé des groupes armés que la mission de l’ONU est censée désarmer. Cela met en évidence le refus de la MONUSCO, qui dure depuis dix ans, de s’attaquer aux causes profondes du conflit en RDC et de neutraliser tous les groupes armés, y compris les FDLR génocidaires, qui entretiennent et propagent une idéologie de haine anti-Tutsi, après que ses principaux éléments ont participé au génocide de 1994 contre les Tutsi, tuant un million de personnes au Rwanda. Après avoir forcé le M23 à déposer les armes en 2013, la MONUSCO s’est non seulement abstenue de remplir son mandat, mais elle a laissé plus de 260 groupes armés émerger et opérer pendant 10 ans, créant une crise régionale de réfugiés et de déplacements internes.
La MONUSCO soutient aujourd’hui un gouvernement qui viole un cessez-le-feu imposé par la région et insiste pour demander au Rwanda de discuter avec les FDLR. Ce soutien porte atteinte non seulement aux efforts de paix régionaux (processus de Luanda/Nairobi) et à toutes les résolutions susmentionnées, mais aussi à la mémoire des victimes du génocide de 1994 contre les Tutsi et des personnes tuées par les FDLR au Congo.
L’indifférence de la MONUSCO à l’égard de la vie des Congolais, en particulier des membres de la minorité Tutsi qui sont pris pour cible depuis plus de trois décennies, y compris dans le cadre de la campagne anti-M23 en cours, après vingt-cinq ans de présence et plus de vingt milliards de dollars US dépensés dans le cadre de sa mission, a ainsi créé un paroxysme d’insécurité dans le pays et dans la région des Grands Lacs. L’indifférence de la MONUSCO à l’égard de la vie des Tutsi, malgré la promesse de SPRINGBOK de “défendre la population civile”, est illustrée par le récent lynchage du lieutenant Gisore Kabongo Patrick, un soldat tutsi des FARDC, qui a eu lieu en plein jour dans les rues de Goma, où la mission de maintien de la paix de la MONUSCO est stationnée. Le jeune Tutsi, père de neuf enfants, a été lapidé et brûlé vif par une foule de personnes, dont des enfants, qui le traitaient de “Rwandais”. Ce récent crime de haine illustre la persécution systémique de longue date de la minorité Tutsi congolaise en RDC, qui est à la base du conflit et de l’instabilité dans la région des Grands Lacs, et dont les Nations unies, par l’intermédiaire de leur mission de maintien de la paix, la MONUSCO, ne peuvent continuer à se faire les complices.
Combien de temps cette situation va-t-elle perdurer dans l’indifférence générale de la communauté internationale ?