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Les tensions avec le Rwanda ont toujours été une solution politique pour Kinshasa

Les tensions diplomatiques et militaires sont des diversions auxquelles recourent souvent les autorités de Kinshasa pour survivre à une autre élection.
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En janvier 2009, j’étais en route pour rencontrer le général Laurent Nkunda. Puis, un bon soir, vers 22 heures, dans un kiosque à journaux de Wandegeya, à Kampala, j’ai lu un titre de New Vision intitulé :”Le Rwanda arrête le général Laurent Nkunda“. Je venais juste de quitter Washington DC pour des recherches que je faisais sur l’insécurité dans la région des Grands Lacs.

Un congolais rwandophone m’avait mis en contact avec l’assistant de Nkunda qui m’attendait à Kigali. L’assistant était censé me guider vers le Masisi, au Nord-Kivu, le fief d’alors du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), l’ancêtre du Mouvement du 23 Mars (M-23).

Citant des responsables du Rwanda et du Congo, The New Vision indiquait que Nkunda avait été arrêté “après avoir résisté à une opération militaire conjointe rwando-congolaise destinée à pacifier l’est du Congo”. Depuis lors, il est en détention au Rwanda.

Je n’ai jamais pu interviewer Nkunda mais j’ai parlé à de nombreux hauts responsables de différents groupes en RDC, dans l’armée et dans la fonction publique, ainsi qu’à des fonctionnaires de l’ONU de la MONUC (rebaptisée MONUSCO en 2010). L’hostilité anti-rwandaise et les tensions qui y sont liées étaient au  plus haut au moment où j’approchais différents responsables qui m’avaient accordé des entretiens. La frontière de Bukavu, par exemple, n’était ouverte que jusqu’à 18 heures.

Une question qui vient immédiatement à l’esprit, compte tenu des circonstances actuelles est de savoir comment se fait-il que le Rwanda ait pu arrêter le général Nkunda alors qu’il était supposé soutenir le CNDP? Il importe de souligner qu’à l’époque, ce dernier était sans doute la rébellion la plus importante contre Kinshasa, avec sous son contrôle, de vastes territoires du Nord-Kivu tels que Masisi et Rutshuru.

Une lecture superficielle des conflits armés au Congo, qui ne se concentre que sur les minerais de ce pays et la façon dont ils alimentent les guerres, ne permet pas de comprendre pourquoi le Rwanda s’est impliqué dans ce pays en premier lieu, et  encore moins, ses liens avec le M-23 et le CNDP avant lui.

L’incursion du Rwanda au Congo s’est faite par nécessité, avec beaucoup de réticence . C’était le seul moyen d’éviter que le pays ne  s’enfoncer davantage dans un conflit prolongé et un génocide, deux situations qui auraient fait paraître en comparaison la République centrafricaine ou la Somalie au plus fort de sa crise comme des pays stables .

En 1995, lorsque les forces génocidaires ont fui le Rwanda pour se réfugier au Zaïre (aujourd’hui RDC), elles ont entrepris, avec le soutien diplomatique de la France., de se réorganiser et d’attaquer le Rwanda dirigé alors par le FPR. L’aide humanitaire destinée au Rwanda était réacheminée de l’autre côté de la frontière vers les camps de réfugiés dans l’Est du Congo contrôlés par ces mêmes génocidaires. Le président zaïrois de l’époque, Mobutu Sese Seko, qui s’était posé en mentor du défunt président Juvénal Habyarimana du Rwanda d’avant le génocide, se considérait comme le garant de la sécurité de ces Rwandais. Il ne se gênait pas pour leur fournir des armes tout en aidant les Français à leur acheminer des munitions. 

Au Rwanda, le général Paul Kagame, alors Vice-président et Ministre de la Défense, plaida avec insistance pour le désarmement des génocidaires, avec la collaboration du gouvernement de Mobutu. Mais ces demandes tombèrent dans l’oreille d’un sourd. Tant Mobutu – que l’élite politique et militaire française – pensaient que le nouveau gouvernement de Kigali ne pourrait pas durer longtemps.

Lors d’entretiens que j’ai menés avec mon collègue Frederick Golooba-Mutebi auprès de deux anciens commandants supérieurs des Forces armées rwandaises de l’ère Habyarimana qui étaient rentrés au Rwanda et servaient le nouveau gouvernement, les généraux Paul Rwarakabije et Jérôme Ngendahimana, nous ont dit, à deux occasions distinctes, qu’ils étaient eux aussi convaincus que le nouveau leadership ne durerait pas. Ils nous ont affirmés qu’ils savaient que le FPR aurait du mal à rallier la population à l’intérieur du Rwanda à cause de l’idéologie qu’elle avait consommée pendant longtemps.

Alors qu’ils se trouvaient dans les jungles du Congo, ils étaient sûrs que leur réorganisation et leurs plans d’invasion du Rwanda bénéficiaient d’un soutien tant à l’intérieur qu’ à l’extérieur du pays. À l’époque, les éléments les plus radicaux étaient encore dominants dans cette insurrection. Ils estimaient que la plus grande erreur qu’ils avaient commise alors qu’ils étaient encore aux commandes au Rwanda était de ne pas avoir terminé “le travail” d’extermination des Tutsis. Une partie essentielle de leur programme, était, une fois qu’ils auraient repris le pouvoir au Rwanda, de reprendre là où ils s’étaient arrêtés et d’ achever le génocide.

Entre-temps, alors qu’il réfléchissait à la manière d’empêcher les insurgés d’envahir le pays, Paul Kagame déclara à la communauté internationale que si les camps dans lesquels ils se cachaient n’étaient pas démantelés et leur réorganisation arrêtée, le Rwanda déploierait des forces et neutraliserait la menace sécuritaire que représentaient ces forces génocidaires. Mobutu cru que Kagame bluffait. Cependant, les personnes qui connaissent Kagame savent aussi que le bluff ne fait pas partie de ses points forts.

En 1996, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo émergea  comme un contrepoids à la réticence de Mobutu. Dirigés par Joseph Désiré Kabila et composés d’individus et de groupes ayant divers griefs contre le gouvernement de Mobutu, ils deviennent le fer de lance de la libération de leur pays de la kleptocratie de Mobutu. À leurs côtés, l’Armée Patriotique Rwandaise avait pour mission de démanteler les camps de réfugiés contrôlés par les génocidaires et de poursuivre les forces génocidaires. L’intervention du Rwanda bénéficiait alors d’un large soutien régional. Le président tanzanien de l’époque, Julius Nyerere, et le Sud-Africain Nelson Mandela, déclareront aux médias internationaux que les dirigeants africains avaient décidé d’armer le Rwanda et d’aider le gouvernement post-génocide à lutter contre les génocidaires.

L’alliance entre la rébellion de Désiré Kabila et le Rwanda se fondait sur ces intérêts communs : renverser un leadership kleptocratique et neutraliser les génocidaires.

Cependant, il s’est avéré que Kabila n’était pas meilleur que Mobutu. Rapidement, il avait concentré le pouvoir autour de son groupe ethnique Baluba, comme Mobutu l’avait fait avec les originaires de l’Équateur. Les exclus commencèrent à envisager de régler militairement leurs différends liés à l’exclusion. La politique interne avait contraint Kabila à rompre son alliance avec le Rwanda. Au fur et à mesure que les griefs internes s’accumulèrent, Kabila s’efforca d’imprimer sa marque de nationaliste par une hostilité envers le Rwanda. Ce faisant, il alla un peu trop loin. Comme Mobutu l’avait fait avec les Forces armées rwandaises (FAR) d’Habyarimana, Kabila conclu une alliance avec les Forces démocratiques de la libération du Rwanda (FDLR). L’histoire était en train de se répéter. Le Rwanda plaida auprès de Kabila pour qu’il mette fin à cette alliance tout en essayant de le protéger contre les pressions politiques intérieures. Kabila, entre le marteau et l’enclume, choisi l’alliance et envoya le Rwanda au diable. Pour le Rwanda, il était clair que toute réorganisation des FAR au travers des FDLR signifiait que l’enfer n’était pas bien loin.

Assez rapidement, les FDLR commencèrent à faire des incursions au Rwanda la nuit et à se retirer en RDC pendant la journée. L’objectif était de rendre le Rwanda ingouvernable, notamment en donnant à la population le sentiment que le gouvernement n’avait pas la capacité de la protéger. Alors que la guerre contre l’insurrection se transformait en conflit larvé a l’intérieur du Rwanda, une force fut déployée en RDC pour couper les voies d’approvisionnement des insurgés et les priver d’une base arrière viable.

Ce faisant, la deuxième guerre du Congo commença, attirant au moins six armées africaines. Elle se termina par des négociations en 2002, lorsque les pays envahisseurs acceptèrent de retirer leurs troupes.

La guerre pris fin mais la menace des FDLR resta présente. Depuis, les FDLR ont été ressuscitées, à chaque fois que les autorités de Kinshasa ressentaient une pression politique découlant de leurs défaillances internes. Les FDLR ont été et demeurent un outil utile pour les calculs politiques des présidents en exercice en RDC lorsqu’approchent les élections. 

Les élections nationales de 2006 avaient divisé le pays en deux : l’Ouest soutenait Jean Pierre Bemba et l’Est, Joseph Kabila. Kabila fut déclaré vainqueur sur fond d’accusations de fraudes massives. Kabila avait beaucoup de travail à faire pour amener l’Ouest dans son camp s’il voulait gouverner le pays dans son ensemble. Bemba refusa de reconnaître Kabila comme vainqueur, ce qui mit sérieusement en doute la crédibilité de ce dernier à Kinshasa et dans toute la partie occidentale du pays.

Kabila pris donc comme modèle ses prédécesseurs. Il relança les FDLR. Dans un contexte de fortes tensions provinciales, le stratagème produit des miracles. À l’époque, les dirigeants des FDLR s’étaient repliés sur le commerce des minerais. Ses membres s’étaient largement intégrés aux communautés congolaises locales. Malgré cela, suite aux  sollicitations de Kabila, ils se réorganisèrent en une force armée active.

À l’approche des élections provinciales de 2008, les communautés parlant le kinyarwanda (rwandophones) devinrent des cibles dans le cadre d’une stratégie de mobilisation politique. Leur participation au processus politique fut bloquée, car elles étaient considérées comme des personnes de “nationalité douteuse”.

Dans une grande partie des Kivus (Nord et Sud), elles pouvaient voter mais ne pouvaient pas présenter de candidats aux élections. La violence dont elles fûrent victimes conduit à l’émergence du CNDP de Nkunda, qui se présentât alors comme un mouvement d'”autodéfense”.

Une fois de plus, une alliance naturelle apparut  entre ceux frappés exclusion en RDC et un pays préoccupé par les menaces existentielles émanant de cette même RDC.

On reconnaîtra que, contrairement à Mobutu, Joseph Kabila pris au sérieux la relation entre le groupe armé de Nkunda et le Rwanda. Après une série de négociations prolongées, il fut convenu que les armées des deux gouvernements travailleraient ensemble pour pacifier la région dans le cadre de ce qui a été appelé Opération Umoja Wetu I et II.

Cependant, une fois de plus, les pressions internes de Kinshasa ont contraint Kabila à abandonner cette initiative, qui avait pourtant rétabli la confiance entre les autorités des deux pays et leurs armées respectives.

Les suites des élections de 2011 en RDC et l’émergence du M-23 suivent le même schéma : l’effondrement de la politique intérieure, l’hostilité envers les congolais rwandophones, et la réactivation des FDLR comme moyen sûr d’intéresser Kigali.

Les tensions diplomatiques et militaires qui en résultent sont généralement des diversions suffisantes pour permettre aux autorités de Kinshasa de survivre à une nouvelle élection. Ou bien elles deviennent l’élection elle-même, comme ce fut le cas avec Mobutu qui croyait que tout ce que le Rwanda pouvait faire était de bluffer.

Le Rwanda ne perçoit aucune menace active de la part du Congo tant que les FDLR sont démobilisées.

L’arrestation de Nkunda fût la conséquence de son incapacité à suivre l’évolution du contexte et de son obstination à vouloir marcher sur Kinshasa, alors même que l’alliance concrète qu’il avait avec Kigali s’était effondrée suite à la décision des deux gouvernements de travailler ensemble.

Et c’est là que réside la solution aux tensions intermittentes : démobiliser définitivement les FDLR et respecter les droits des Congolais parlant le kinyarwanda, dont la seule relation avec le Rwanda est leur langue et leur héritage culturel.

Le temps est un grand enseignant. J’ai maintenant les réponses à beaucoup des questions que j’aurais posées au Gén Nkunda si notre rencontre à Masisi avait eu lieu comme prévu en janvier 2009.

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