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Les récits occidentaux sur le conflit en RDC pourraient conduire à une guerre totale dans la région des Grands Lacs

"Gouverner la RDC, c'est avant tout mobiliser les énergies pour restaurer l'autorité de l'Etat au lieu de chercher des boucs émissaires, d'inventer de faux complots et de vivre dans l'autosatisfaction"
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Alors que la crise sécuritaire dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) évolue, la communauté de la région de l’Afrique de l’Est (CAE) semble unie et déterminée à trouver une solution durable à la crise. Cependant, les commentaires occidentaux sur la crise continuent à jouer un rôle destructeur en minimisant la responsabilité du gouvernement de la RDC dans la reprise du conflit armé dans la région, assurant ainsi que Kinshasa continue à doubler la mise avec sa politique de terre brûlée en ce qui concerne ses relations avec le Rwanda d’une part et la rébellion du M23 d’autre part. L’article de Judith Verweijen et Christoph Vogel intitulé “Why Congo M23’s crisis lingers on” (Pourquoi la crise du M23 au Congo perdure) illustre comment une mauvaise formulation des problèmes contribue à saper les initiatives africaines visant à résoudre le conflit tout en invitant les puissances occidentales à intervenir indûment, leurs actions n’ayant jusqu’à présent que fait du Congo un foyer d’instabilité permanente.

Analyse erronée, spéculations et allégations douteuses

Une lecture rapide de l’article de Verweijen et Vogel sur les raisons de l’escalade du conflit entre la RDC et la rébellion du M23 se lirait comme suit :

  1. Fin 2021, le Rwanda a senti que son influence dans l’est de la RDC diminuait en raison d’un rapprochement entre la RDC et l’Ouganda” parce que “Kampala a conclu un certain nombre d’accords avec Kinshasa, notamment pour des concessions d’infrastructures et d’or qui ont conduit à une concurrence directe avec le Rwanda” ;
  2. “la RDC a ébranlé Kigali en renouvelant son partenariat avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), que le Rwanda perçoit comme une véritable menace pour sa sécurité, même s’il est également accusé de gonfler cette menace pour des raisons d’opportunisme politique ; et
  3. “Coincé entre la pression économique et les préoccupations sécuritaires, Kigali a eu recours à la stratégie qui consiste à se donner une marge de manœuvre en soutenant l’insurrection.

 

Cette analyse semble facile à comprendre, à l’exception des nombreux points problématiques qu’elle présente au lecteur.

Tout d’abord, Verweijen et Vogel présentent comme un fait leur spéculation sur la perception du Rwanda de son influence supposée décroissante en réaction au rapprochement entre la RDC et l’Ouganda. La manière dont les deux auteurs sont parvenus à cette conclusion est un mystère, étant donné qu’un tel point de vue n’a jamais été exprimé publiquement par un représentant de l’Etat rwandais.

Voici les faits : avant la reprise du conflit fin 2021, le Rwanda et la RDC avaient signé plusieurs accords bilatéraux, dont un mémorandum sur la coopération dans le domaine de l’exploitation aurifère. La signature a eu lieu le 26 juin 2021, un mois après la signature d’un autre accord de coopération dans les domaines du commerce, de la sécurité et de l’infrastructure routière entre l’Ouganda et la RDC. Il n’existe aucun document officiel ou rapport indiquant que Kampala a obtenu des concessions d’or qui pourraient conduire à une “concurrence directe avec le Rwanda”, comme l’affirment Verweijen et Vogel, à moins qu’il ne s’agisse d’accords informels.

En tout état de cause, si les minerais congolais sont aussi abondants qu’on le prétend, il n’y a aucune raison de penser que le Rwanda serait menacé si des accords similaires étaient conclus par Kampala. À moins que l’on ne soit déterminé à projeter sur les pays africains la logique du jeu à somme nulle qui sous-tend les comportements des superpuissances occidentales, il y a suffisamment d’or en RDC pour que tous les voisins participent à des entreprises communes d’exploitation minière et en partagent les bénéfices. En fait, si les spéculations de Verweijen et Vogel étaient fondées, toute action visant à annuler les gains de l’Ouganda dans ces prétendus accords, y compris le soutien à l’insurrection, serait accueillie avec hostilité par Kampala. Or, jusqu’à présent, l’Ouganda, comme tous les membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est, à l’exception de la RDC, a maintenu qu’il n’avait pas l’intention de combattre les rebelles du M23. Cela signifie que Kampala ne considère pas le M23 comme une menace et un mandataire dont l’objectif est de promouvoir les intérêts du Rwanda aux dépens de ceux de l’Ouganda.

Il semble que les spéculations initiales ne servent qu’à soutenir la conclusion des auteurs selon laquelle “Kigali a eu recours à la stratégie éprouvée de se donner une marge de manœuvre en soutenant l’insurrection”. Il s’agit d’un cas de bias de confirmation, qui ne fait qu’entretenir les vieux clichés sur les minerais congolais et n’aide pas à comprendre la crise actuelle en RDC.

Deuxièmement, même lorsque Verweijen et Vogel présentent un motif valable – à savoir l’alliance de la RDC avec les FDLR – qui pourrait inciter le Rwanda à prendre des mesures aussi extrêmes que le soutien au M23, ils minimisent la gravité de ce motif en invoquant le type d’argument qui a permis à la communauté internationale de tolérer facilement une menace régionale pour la sécurité collective de la région des Grands Lacs au cours des 29 dernières années : “[Le Rwanda] est accusé de gonfler cette menace [FDLR] pour des raisons d’opportunisme politique”, écrivent les deux auteurs. Cette affirmation est trompeuse.

Tout commentateur avisé de la dynamique géopolitique de la région sait que les FDLR sont la seule question récurrente qui a conduit à des tensions entre a) le Rwanda et la Tanzanie, lorsque l’ancien président Kikwete a fait la proposition stupide de pourparlers de paix entre cette organisation génocidaire et le gouvernement rwandais ; b) le Rwanda et l’Ouganda, lorsque des révélations sur le soutien logistique et la collaboration de l’Ouganda avec les commandants des FDLR ont été mis à jour en 2006 et 2018 ; c) le Rwanda et le Burundi, lorsqu’il est apparu clairement que les éléments du FLN de Rusesabagina, dont certains sont d’anciens membres des FDLR, attaquaient le Rwanda à partir du Burundi.

Dans tous ces cas, la diplomatie a joué un rôle clé dans le rétablissement des relations. Par conséquent, tout commentateur avisé qui cherche réellement à voir la fin du conflit en RDC devrait rejeter ceux qui invoquent “l’opportunisme politique” face à ce que le Rwanda considère clairement comme une menace existentielle. Au contraire, l’est de la RDC, qui est le foyer des FDLR et de leurs groupes dissidents, nécessite des actions militaires décisives pour résoudre ce problème une fois pour toutes, une tâche que la MONUSCO n’a pas réussi à accomplir au cours des deux dernières décennies. C’est pourquoi les chefs d’état-major de la communauté de l’Afrique de l’Est ont décidé de recueillir des informations sur la localisation des FDLR avant que la force régionale de l’Afrique de l’Est ne s’engage dans des actions militaires à leur encontre. Même ceux qui pensent que les FDLR sont un prétexte pour le Rwanda d’intervenir en RDC devraient convenir que ces actions militaires supprimeraient le “prétexte”.

Troisièmement, alors que Verweijen et Vogel tentent d’étayer l’allégation selon laquelle le Rwanda mène une guerre par procuration contre la RDC, ils ne prennent pas le rapport d’un groupe d’experts de l’ONU sur ce sujet avec le grain de sel nécessaire. Pourtant, la prudence est de mise pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, les preuves présentées restent, au mieux, fragiles. En fait, à l’exception des puissances occidentales qui semblent vouloir jeter de l’huile sur le feu, aucun dirigeant régional n’a fait ou même insinué ces allégations. Deuxièmement, Verweijen et Vogel reconnaissent eux-mêmes que “l’absence de mise en œuvre de cet accord [de décembre 2013] a incité la partie ougandaise du groupe [M23], dirigée par Sultani Makenga, à retourner en RDC”. En effet, c’est la frange du M23 basée en Ouganda qui se bat, tandis que les membres du groupe qui ont fui au Rwanda en 2013 restent cantonnés.

En outre, le soi-disant rapprochement entre la RDC et l’Ouganda n’a pas incité Kampala à empêcher la chute de Bunagana (ville frontalière avec l’Ouganda) aux mains des rebelles qui ont échappé à sa surveillance en 2017 – une mesure qui aurait été grandement appréciée par Kinshasa. Assurément, si l’on accorde du crédit aux preuves circonstancielles, alors l’Ouganda, et non le Rwanda, serait le principal suspect dans toute conversation sur le soutien étranger au M23.

Même si l’on suppose que les experts de l’ONU ont raison, il est difficile d’imaginer que le Rwanda soutienne un groupe rebelle opérant si près des frontières ougandaises, sans le soutien tacite et/ou la participation active ou l’approbation de l’Ouganda. On peut supposer que la seule raison pour laquelle Kinshasa n’a pas formulé d’allégations tout aussi farfelues à l’encontre de Kampala est qu’il espérait que les récentes tensions entre le Rwanda et l’Ouganda puissent être exploitées pour isoler Kigali. Aujourd’hui, Kinshasa accuse l’ensemble du contingent de la Force de l’Afrique de l’Est (à l’exception des troupes burundaises) d’être de connivence avec le M23 et demande à la SADC d’intervenir. Il est toutefois intéressant de noter que Verweijen et Vogel omettent de préciser que c’est le comportement de Kinshasa, et non la prétendue guerre par procuration du Rwanda, qui est la principale raison pour laquelle la crise “perdure”.

Faire en sorte que Kinshasa rende des comptes afin d’éviter une guerre totale

Comme Verweijen et Vogel l’ont souligné à juste titre, “le gouvernement congolais avait secrètement accueilli une délégation du M23 à Kinshasa depuis la mi-2020” et “le groupe [M23] est largement resté en veilleuse et semblait se contenter de contrôler une petite zone perchée entre les volcans de l’est de la RDC” depuis son retour en RDC en 2017. Ces faits indiquent deux choses : premièrement, le M23 a donné une occasion de parvenir à un règlement pacifique du conflit ; deuxièmement, Kinshasa aurait pu éviter l’ actuelle effusion de sang si un représentant du gouvernement avait parlé aux envoyés du M23 et écouté leurs doléances. En d’autres termes, Kinshasa avait une solution, a entamé le processus puis l’a abandonné. Aujourd’hui, le même groupe dont les représentants ont été invités à Kinshasa est décrit par le gouvernement de la RDC comme un groupe terroriste. Il est intéressant de noter que les chroniqueurs occidentaux ne cherchent pas à connaître les raisons de ce revirement soudain et ne soulignent pas ces incohérences. Qui a parlait encore d’opportunisme politique ?

De plus, aucune des revendications déclarées du M23 (principalement la mise en œuvre de l’accord de 2013, la protection des communautés rwandophones et le rapatriement des réfugiés congolais dispersés dans la région) ne peut être interprétée comme allant dans le sens des intérêts du Rwanda. Les membres du M23 et les populations qu’ils prétendent représenter étaient congolais en 2013 et le restent à ce jour. Il existe un consensus régional à ce sujet, auquel Kinshasa et les représentations diplomatiques occidentales font la sourde oreille. Si les puissances occidentales souhaitent préserver l’intégrité territoriale de la RDC, leur tâche est simple : elles doivent faire comprendre à Kinshasa que l’intégrité territoriale du pays va de pair avec la reconnaissance des droits citoyens des communautés congolaises d’expression kinyarwanda.

En outre, il est trompeur d’affirmer “que Kinshasa et Kigali ont adopté une position intransigeante et font preuve d’un engagement limité pour résoudre leurs différends”, comme le font Verweijen et Vogel. En fait, depuis le début du conflit en 2021, le Rwanda a pris plusieurs mesures pour une désescalade de la crise. Par exemple, le président Kagame a accepté d’aider l’ancien président Uhuru Kenyatta à inciter le M23 à déposer les armes et à se retirer des territoires occupés. Le M23 a depuis commencé son retrait. Selon le président angolais et médiateur de l’Union africaine, Joao Laurenco, le M23 respecte ses engagements et il n’a pas à se plaindre de ce qu’il attend du Rwanda pour que sa médiation réussisse.

Contrairement aux mesures de désescalade prises par Kigali, Kinshasa a plutôt choisi d’aggraver la situation. Ainsi, Tshisekedi a publiquement appelé à un changement de régime au Rwanda et a promis de soutenir les forces qui cherchent à déstabiliser leur voisin, une déclaration que le président Kagame a calmement rejetée comme une plaisanterie. Récemment, Tshisekedi a doublé la mise en recevant un représentant du Congrès national rwandais, un groupe terroriste responsable d’attaques à la grenade à Kigali en 2010.  Kinshasa refuse également de s’engager dans des pourparlers avec les rebelles du M23, alors que le médiateur de l’UA et le facilitateur de la CAE ont rencontré leurs représentants. En conséquence, l’Angolais Joao Laurenco s’est plaint que l’incapacité à lancer ce processus politique a bloqué le processus de cantonnement.

Il convient de rappeler que le sommet des chefs d’État de Bujumbura de février 2023 a décidé que le retrait du M23 s’accompagnerait d’un processus politique. Mais Kinshasa reste inflexible sur la nécessité de vaincre le M23 et continue de faire pression sur la force est-africaine pour qu’elle s’engage dans des opérations militaires contre les rebelles, tout en menaçant de remplacer les forces de l’EAC par celles de la SADC pour qu’elles fassent son travail de guerre. Pendant ce temps, les écoles publiques de la RDC sont inondées de discours de haine, les élèves apprenant que le Rwanda est l’ennemi, une situation qui alimente la violence contre les Congolais parlant le kinyarwanda. En bref, il n’y a qu’une seule partie qui continue l’escalade et qui ne fait preuve d’aucun engagement pour apaiser les tensions, et c’est le gouvernement de la RDC. Une analyse correcte des raisons pour lesquelles la crise en RDC “perdure” ne manquerait pas de le souligner.

Il est grand temps que les puissances occidentales, les médias, les groupes de réflexion et les analystes cessent d’exonérer le gouvernement de la RDC de toute responsabilité. Leurs explications sur la crise encouragent l’attitude dangereuse de Kinshasa, sapent le consensus régional actuel sur la manière de résoudre la crise et préparent le terrain pour une guerre totale en présentant les problèmes d’origine interne comme une confrontation entre deux pays. Ainsi, peut-être qu’au lieu d’inviter subtilement l’ingérence occidentale en invoquant la stratégie éprouvée et ratée des sanctions qui n’ont pas traité les causes profondes du conflit en 2012 ou des actions militaires qui n’ont fait que retarder la reprise du conflit, Verweijen et Vogel pourraient prendre exemple sur le chef de l’opposition congolaise, Moise Katumbi, qui, s’exprimant à la suite d’un nouveau massacre commis par l’une des milices congolaises, a déclaré : “La gouvernance de la RDC exige avant tout que l’on s’efforce de résoudre les conflits : “Gouverner la RDC, c’est avant tout mobiliser les énergies pour restaurer l’autorité de l’Etat au lieu de chercher des boucs émissaires, d’inventer de faux complots et de vivre dans l’autosatisfaction“.

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