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Les racines de l’instabilité dans les environnements politiques fragiles

Les discussions sur les causes de l'instabilité politique en Afrique ont tendance à se concentrer sur l'absence de pluralisme politique et de législatures fonctionnelles. Cela ne tient pas compte de l'importance du contexte plus large dans lequel les acteurs politiques opèrent et de la manière dont il influe en fin de compte sur leur capacité et leur volonté de maintenir la paix et la stabilité.
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Central africans go to the polls, December 2020
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L’un des casse-têtes les plus tenaces de la politique en Afrique est de savoir comment stabiliser les pays qui luttent pour surmonter un lourd héritage de violence politique. Il n’est pas rare de voir les pays qui sortent d’une guerre régresser assez rapidement ou rester embourbés dans des conflits de faible intensité bien des années après la fin des guerres proprement dites. Le Sud-Soudan, le Mozambique, le Burundi et la République Démocratique du Congo viennent rapidement à l’esprit comme des exemples marquants de pays où la paix est ou a été élusive pendant des années suite à des épisodes de violence politique généralisée ou de guerre civile. D’autres encore, comme le Rwanda, ont su surmonter de lourds héritages de politique violente et atteindre des niveaux remarquables de stabilité politique. D’autres encore ont pu surmonter ce type d’héritage pour être à nouveau associés à un risque élevé de retomber dans l’instabilité. L’Ouganda est aujourd’hui considéré comme un pays dont l’avenir est incertain et dont le risque d’instabilité future semble augmenter. Comment expliquer ces différences ? L’histoire nous fournit quelques indications.

Manque de mise en place de systèmes inclusifs

Les contextes qui permettent à la stabilité de s’enraciner et de durer à long terme ont été absents dans de nombreuses régions d’Afrique pendant la majeure partie de la période postcoloniale. La plupart des pays africains ont accédé à l’indépendance en tant que démocraties multipartites. La concurrence pour le pouvoir entre les différents partis politiques était considérée comme une garantie de stabilité politique et de prospérité à long terme. Cependant, la lune de miel avec la compétition politique n’a pas duré.

Le passage à un régime de parti unique, présenté comme supérieur au pluralisme, reposait sur un seul argument : le multipartisme était source de divisions. Il n’était donc pas propice à la double tâche de construction de la nation et de recherche de la stabilité politique et de la prospérité. Le défunt Julius Nyerere de Tanzanie, ardent défenseur de la règle du parti unique, affirmait que les fondements de la démocratie sont plus solides lorsqu’il y a un parti qui s’identifie à l’ensemble de la nation que lorsqu’il y a différents partis, chacun représentant seulement une ou plusieurs segments de la communauté.

Toutefois, dans les années 1980, lorsque les pressions en faveur du multipartisme ont pris le devant de la scène, le régime du parti unique était depuis longtemps discrédité. A la place de l’unité, il avait engendré le monopole du pouvoir par certains groupes et l’exclusion ainsi que l’oppression pour d’autres groupes. Ce faisant, il avait catalysé des conflits motivés par la recherche du pouvoir et plongé de nombreux pays dans l’instabilité politique et la stagnation ou le déclin économique. Bien que l’Afrique ait été généralement stable, après le retour au multipartisme à la fin des années 1980, et moins sujette à des événements tels que des putschs militaires, le multipartisme n’a pas toujours été capable de confirmer l’affirmation selon laquelle il favorise ou renforce la stabilité et est donc susceptible de conduire à la prospérité. Cela se constate par les conflits, parfois violents, qui ont tendance à éclater après la tenue des dites élections multipartites dans un certain nombre de pays.

Il est vrai, cependant, que dans plusieurs pays, tant le monopartisme que le multipartisme ont créé ou perpétués l’exclusion du pouvoir d’acteurs politiques importants de leurs communautés. Tous ces deux systèmes se sont révélés incapables de faire émerger des circonstances où des adversaires politiques potentiels pourraient travailler ensemble à la poursuite de l’objectif commun de créer des sociétés politiquement stables et prospères.

Ignorance des contextes particuliers

Les gouvernements opèrent dans des contextes présentant des caractéristiques spécifiques qui diffèrent d’un pays à l’autre. La nature d’un contexte particulier détermine en fin de compte leur mode de fonctionnement et leur efficacité à prévenir la violence politique et l’instabilité. Les observations tirées des processus d’effondrement dans les pays ayant un passé de violence en Afrique de l’Est et des efforts de réforme et de reconstruction qui ont suivi nous permettent de tirer certaines conclusions sur les facteurs qui conduisent et alimentent les conflits et l’instabilité. Quels sont ces facteurs ?

Dans certains cas, le multipartisme et l’antagonisme qui en découle, a été (ré)introduit dans des environnements où les conditions préalables à sa germination et à son développement étaient généralement absentes. Dans certains cas, il a été imposé dans des contextes où il n’était pas réalisable, compte tenu des tensions et du stress qui prévalaient au sein de la société. Cela se produit encore aujourd’hui. Il n’est pas surprenant que, dans de tels contextes, les conflits électoraux soient fréquents et conduisent parfois à la violence.

Dans d’autres cas, les acteurs politiques accèdent à des fonctions publiques par le biais de processus qui ne sont pas transparents. L’opacité des processus qu’ils utilisent ne permet pas à leurs rivaux politiques et aux autres prétendants au pouvoir d’envisager la possibilité de faire de même dans le cadre d’une concurrence libre et loyale. Les litiges électoraux découlant d’allégations selon lesquelles les titulaires ont truqué leur accession au pouvoir émanent de situations de ce type, dans lesquelles les détenteurs du pouvoir corrompent les processus et les procédures pour s’assurer de garder le pouvoir à tout prix. Au Kenya et en Tanzanie, des litiges de ce type ont conduit à des violences post-électorales par le passé, tandis qu’en Ouganda et au Burundi, ils ont débouché sur une guerre totale.

Aussi, le comportement des gagnants à l’égard des perdants, de leurs opposants et de leurs rivaux en général, revêt une grande importance, que le pouvoir ait changé de mains à la suite d’une “révolution” ou d’élections. En effet, il est important de savoir si les personnes au pouvoir cherchent à mettre en place des systèmes inclusifs dans lesquels les gens ont généralement l’impression de compter, ou des systèmes d’exclusion qui relèguent les rivaux et les opposants au rang de citoyens secondaires et qui les excluent de la prise de décision et des postes de pouvoir et d’influence. L’exclusion politique telle qu’elle a été pratiquée au Rwanda avant le génocide, où une proportion importante de la population était pour l’essentiel exclue du processus décisionnel, incite généralement les exclus à prendre des mesures extrêmes qui engendrent l’instabilité.

En outre, la nature de la victoire remportée par le vainqueur, que ce soit lors d’élections ou d’une guerre, est d’une importance capitale. Chaque fois qu’une guerre civile éclate, l’incapacité de l’un des protagonistes à remporter une victoire décisive entraîne une violence prolongée. Par exemple, l’absence d’un vainqueur clair dans la guerre civile en RDC et les règlements politiques qui en ont résulté par l’intermédiaire de médiateurs extérieurs ont laissé le pays avec une capacité limitée à aller de l’avant, car de nombreux groupes armés continuent à terroriser les campagnes et à perpétuer l’instabilité politique, ce qui sape les efforts de reconstruction. Dans le cas où la compétition politique est adoptée, lorsque des élections sont organisées, les victoires incertaines créent un espace pour que d’autres prétendants au pouvoir rejettent les résultats électoraux, ce qui peut déclencher un conflit violent.

Le contrôle ou le monopole de la violence légitime est important.  En RDC, l’insécurité et l’incapacité de l’État à assurer le contrôle de l’armée et le monopole de la violence légitime restent des menaces majeures pour les perspectives de stabilité politique à long terme. L’héritage des guerres post-Mobutu a créé une situation dangereuse dans laquelle plusieurs groupes armés opèrent à travers le pays avec peu ou pas de contrôle ou de surveillance de la part du gouvernement de Kinshasa. L’incapacité à mettre en place une armée pleinement intégrée, capable de rétablir et de maintenir l’ordre, est sans doute le plus grand obstacle aux tentatives futures de stabilisation politique et de réhabilitation de l’économie.

Les événements qui ont suivi la fin des élections générales en Ouganda en 2011 montrent bien que la crise économique peut endommager ou détériorer les relations entre les gouvernements et leur opposition. En réaction à l’inflation élevée et à l’augmentation du coût de la vie, les groupes d’opposition se sont lancés dans une campagne dite de “marche vers le travail”, destinée, selon eux, à forcer le gouvernement à prendre des mesures correctives. Soucieux d’éviter que cette campagne ne nuise à son image et craignant un soulèvement de type printemps arabe, le gouvernement a pris des mesures extrêmes pour tenter de contenir la situation. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de sécurité et les militants de l’opposition et leurs partisans. Il en a résulté des morts, des blessés et des destructions de biens qui auraient pu être évités, ainsi qu’une plus grande détérioration des relations, déjà mauvaises, entre le gouvernement et l’opposition. Une autre preuve de l’effet perturbateur des crises économiques sur les relations entre le gouvernement et l’opposition nous vient du Rwanda de l’ère Habyarimana, où la chute des prix du café à la fin des années 1980 a galvanisé les opposants à réclamer un changement politique. La décision du Front patriotique rwandais (FPR) de lancer sa campagne militaire en 1990 avait déjà été précédée de conflits internes sur lesquels le président français de l’époque, François Mitterrand, s’est appuyé pour faire pression sur le gouvernement à parti unique afin qu’il s’ouvre au multipartisme. Soucieux de garder le contrôle sur ces changements rapides, le régime a eu recourt à la violence contre ses opposants, ce qui a compromis les perspectives de maintien de la stabilité qui avait sous-tendu sa gestion économique précédemment acclamée.

La manière dont les acteurs internationaux se comportent est très importante. Dans les situations fragiles d’après-guerre, les acteurs internationaux peuvent provoquer des troubles en exerçant des pressions en faveur d’une politique et d’élections multipartites concurrentielles et antagonistes, ce qui peut être la source d’une nouvelle instabilité. Les élections multipartites de 1980 en Ouganda, huit mois seulement après la fin de la guerre qui a renversé Idi Amin et après 18 ans de dictature civile et militaire, en sont un bon exemple. Les élections ont eu lieu après 18 ans de gouvernement sans élections, dont 8 sous une dictature militaire. Les partis politiques avaient été interdits dès 1969 par le gouvernement du Congrès du peuple ougandais de l’époque. Le Congrès du peuple ougandais lui-même était en sommeil depuis 1971, date à laquelle Idi Amin avait renversé le gouvernement d’Obote. Les élections se sont donc déroulées dans un contexte où les partis participants avaient pas ou peu d’expérience du multipartisme, et où le jeune gouvernement d’après-guerre n’avait aucune expérience dans l’organisation d’élections de quelque nature que ce soit. Il en a résulté des campagnes violentes au cours desquelles l’armée, échappant au contrôle du gouvernement, a joué un rôle ouvertement partisan. Ne voulant pas accepter les résultats, l’un des partis perdants a opté pour la guerre. L’expérience de l’Ouganda confirme l’idée qu’une compétition politique prématurée peut conduire un groupe au pouvoir à adopter des politiques répressives afin de réprimer les opposants potentiels avant et après les élections.

En conclusion, les discussions sur les causes de l’instabilité politique en Afrique ont tendance à se concentrer sur l’absence de pluralisme politique et de législatures fonctionnelles. Cela ne tient pas compte de l’importance du contexte plus large dans lequel les acteurs politiques opèrent et de la manière dont il influe en fin de compte sur leur capacité et leur volonté de maintenir la paix et la stabilité. Toutefois, une observation attentive montre que lorsque les éléments contextuels ne sont pas propices à l’établissement et au maintien de la paix et de la stabilité, même lorsque les dispositions techniques, les règles et les réglementations les plus élaborées sont en place, les perspectives d’y parvenir sont minces. En fin de compte, les efforts visant à renforcer la stabilité politique ne doivent pas rester aveugles au contexte général et à la manière dont il pourrait faciliter ou entraver les progrès vers cette stabilité.

 

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