En septembre 2023, les autorités de la RDC ont lancé un ultimatum, exigeant que les rebelles du M23 désarment et se retirent des dernières positions défensives qu’ils occupaient. Compte tenu des échecs récents des forces armées de la RDC (FARDC) et de ses alliés à vaincre les rebelles du M23, la volonté de Kinshasa de rompre un cessez-le-feu imposé par les chefs d’État de la région, au risque de perdre davantage de territoire, laissait perplexe. Aujourd’hui, il est devenu évident que la nouvelle confiance affichée par Kinshasa est due essentiellement au soutien d’un nouvel allié au sein de la force de maintien de la paix de l’Afrique de l’Est déployée au Nord-Kivu depuis Novembre 2022 : le Burundi. L’implication et la complicité des troupes burundaises dans la violation d’un cessez-le-feu de plusieurs mois mettent en péril les progrès limités, mais prometteurs, enregistrés jusqu’à présent par la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) dans ses efforts pour résoudre pacifiquement le conflit.
Une situation volatile sur le terrain
Depuis le 1er octobre 2023, la RDC et ses alliés, dont des milices et des mercenaires européens, sèment la terreur au sein des communautés rwandophones : incendies de villages, vols de bétail, ciblage des Congolais tutsis dans les territoires de Masisi et de Rutshuru. Cette violence aux relents génocidaires s’inscrit dans la volonté de Kinshasa de reprendre le contrôle des zones précédemment tenues par les rebelles du M23 et cédées aux troupes régionales comme l’avaient exigé les chefs d’État de la CAE. Ce qui est encore plus surprenant, c’est que cette violation flagrante du cessez-le-feu a été facilitée par le contingent burundais dans les zones qu’il contrôle, faisant du Burundi à la fois un agresseur et un pacificateur dans le conflit de la RDC.
En réponse, le groupe M23 a lancé des avertissements, appelant la communauté internationale, en particulier la CAE, à prendre des mesures adéquates pour éviter de nouvelles effusions de sang. À défaut, il se réserve le droit de défendre les communautés visées. Jusqu’à présent, les demandes du M23 sont restées lettre morte, l’amenant à réoccuper temporairement – avant de se retirer à nouveau en signe de bonne volonté selon les sources au sein du groupe – les zones tombées sous le contrôle de Kinshasa avec la complicité du contingent burundais.
Les rebelles semblent déterminés à faire passer le message suivant: si aucune mesure n’est prise pour empêcher les massacres génocidaires en cours et condamner Kinshasa pour son mépris des recommandations des chefs d’État de la CAE et du processus de paix de Nairobi-Luanda, rien ne pourra arrêter une éventuelle contre-offensive du M23, et personne ne peut savoir jusqu’où celle-ci irait cette fois-ci.
La Communauté des États de l’Afrique de l’Est sous pression
Pourquoi le Burundi, pays qui préside l’EAC, saperait-il un processus de paix mené par son propre président, Evariste Ndayishimiye ? Pour comprendre la situation actuelle dans cette région des grands lacs, il faut examiner le contexte autour du déploiement de la force est-africaine. Plusieurs facteurs clés méritent d’être soulignés.
D’une part, le processus de paix stagne en raison du refus obstiné de Kinshasa d’entamer un dialogue avec les rebelles du M23. Tant que cette situation persiste et sans mesures coercitives visant à responsabiliser les belligérants récalcitrants aux efforts de paix, il ne peut y avoir de processus de paix digne de ce nom.
Deuxièmement, les ressources financières destinées à soutenir la mission en Afrique de l’Est restent limitées. Par conséquent, les pays qui ont déployé des forces supportent une partie des coûts liés aux besoins logistiques de leurs troupes. Pour ceux qui sont confrontés à de graves problèmes économiques, le fardeau financier du déploiement est insoutenable.
Troisièmement, et en lien avec le deuxième point, Kinshasa est déterminé à s’assurer le soutien de forces étrangères à tout prix, même si cela implique l’épuisement de précieuses ressources nationales. Cette stratégie a été testée par le passé, le gouvernement de la RDC ayant déjà offert des contrats miniers et des minerais pour obtenir le soutien armé de groupes tels que les FDLR. Même des pays comme le Zimbabwe et l’Afrique du Sud – qui à l’époque de la deuxième guerre du Congo avaient des économies relativement stables – ont succombé à ces offres généreuses.
Actuellement, Kinshasa utilise des fonds publics pour recruter et armer des milices locales et des mercenaires européens. En outre, il finance les forces génocidaires du FDLR pour qu’elles se réorganisent et forment de nouvelles recrues, avec l’objectif déclaré de déstabiliser le Rwanda voisin. Simultanément, comme le souligne le dernier rapport du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC, les réseaux de contrebande d’or, dirigés par les élites politiques de Kinshasa et les commandants militaires locaux, utilisent Bujumbura comme voie d’exportation des minerais acquis de manière illicite.
Dans ce contexte, la tentation est grande pour les pays qui ont déployé leurs troupes d’échanger leurs services militaires contre des minerais et d’autres accords commerciaux. Les incitations sont encore plus prononcées pour le Burundi, étant donné son besoin urgent de devises étrangères dans un contexte de perturbations continues de l’approvisionnement en produits importés essentiels tels que le pétrole, les médicaments et les matériaux de construction, sans parler de son taux d’inflation record.
En outre, des preuves supplémentaires des contradictions entre les intérêts du Burundi et son mandat de maintien de la paix ont récemment été mises en lumière par une fuite d’un document signé le 21 juillet 2023, qui révèle que Kinshasa a fourni des armes et des munitions à l’armée burundaise sous le couvert d’une coopération bilatérale. La question se pose donc naturellement : Comment l’armée burundaise peut-elle maintenir sa neutralité sur le terrain, exigée d’une force de maintien de la paix, tout en recevant du matériel militaire de l’une des parties belligérantes, à savoir le gouvernement de la RDC ?
L’échec spectaculaire des solutions africaines
Comme indiqué précédemment, la situation sur la ligne de front reste très volatile et le risque de basculer vers une guerre totale entre Kinshasa et ses alliés d’une part et les rebelles du M23 d’autre part est indéniable. En ne respectant pas la neutralité requise et en ne protégeant pas les populations innocentes, la CAE prend un risque substantiel pouvant nuire à sa réputation ainsi qu’à la crédibilité de la capacité des Africains à concevoir des solutions à leurs problèmes. En outre, le bloc régional ne devrait pas entretenir le risque de voir l’un de ses membres, le Burundi, activement impliqué dans le conflit.
En tout état de cause, si l’on considère les événements passés et présents sur le terrain et les avertissements lancés par le M23, on peut raisonnablement s’attendre à une contre-offensive massive des rebelles dans les jours à venir. Malheureusement, vu le silence de la communauté internationale, et en particulier l’apathie de l’EAC, face à la destruction de villages entiers par les troupes des FARDC et leurs milices et mercenaires alliés, aucune institution n’aura l’autorité morale d’appeler à un nouveau cessez-le-feu vide de sens qui permettrait à Kinshasa de se regrouper et de relancer les hostilités. La communauté internationale a une fois de plus déçu le peuple congolais et le force à prendre en charge sa propre sécurité.
En fin de compte, la RDC pourrait être le cimetière des “solutions africaines”, avec la CAE comme tête d’affiche.