Depuis 2017, le Mozambique vit des temps troubles provoqués par des groupes terroristes affiliés aux Al-Shabaab qui ont déplacé plus de 800 000 personnes. Et depuis quelques mois, le Rwanda a déployé 1000 soldats au Mozambique dans le but d’aider à restaurer l’autorité de l’État mozambicain alors que le pays faisait face à une insurrection islamiste croissante dans la province du Cabo Delgado. Ce déploiement s’inscrit dans le cadre d’un protocole d’accord signé entre le Rwanda et le Mozambique en 2018. Certains observateurs se sont demandés pourquoi le Rwanda avait pris cette mesure audacieuse alors que le monde tergiversait. Je soupçonne qu’ayant vécu une tragédie similaire, à savoir être désavoué par la quasi-totalité des pays du monde en période de pertes humaines massives et sans précédent, le Rwanda a choisi de se positionner différemment des pays qui ont préféré imiter l'”aveuglement” des colonisateurs en 1994.
L’importance d’une action rapide
De 1977 à 1992, le Mozambique a connu 16 années de guerre civile qui ont coûté la vie à plus d’un million de personnes et poussé plus de 5 millions de Mozambicains à se réfugier en Afrique du Sud. On peut supposer que l’espoir/la prière d’un Mozambicain ordinaire aujourd’hui est que la mort, la déshumanisation et la peur qui ont caractérisé le crépuscule de son 20e siècle n’entacheront pas son histoire au 21e siècle. Ainsi, lorsque ce pays d’Afrique australe a appelé à l’aide, le Rwanda a répondu, au grand dam de ses détracteurs.
Le Rwanda doit sa stabilité actuelle aux efforts de réconciliation qui ont exigé – et exigent toujours – une grande empathie de la part de son peuple et de ses dirigeants. Cette même empathie permet à cette nation, fervente panafricaine, de reconnaître le droit de chaque Africain à la stabilité, à la paix et à la dignité humaine. Dans le même esprit, le Rwanda a été capable d’identifier ses propres vulnérabilités, avant et après le génocide, dans les conditions sociales et politiques des nations africaines en proie à la guerre. Le Rwanda, peut-être plus que tout autre État, est lié au Mozambique à bien des égards et comprend que le temps est un luxe dont ne dispose pas un peuple soumis à une attaque directe, violente et persistante.
À première vue, les histoires postcoloniales et les conceptions sociétales rwandaises et mozambicaines sont très différentes. Alors que le Mozambique était ravagé par une guerre civile qui reflétait les politiques de la guerre froide, le Rwanda subissait des décennies de préparation, et finalement le déroulement, d’un génocide ethnique. Cependant, les crises rwandaise et mozambicaine ont toutes deux entraîné la mort, l’exil et la disparition de millions de leurs ressortissants dans les pays voisins, où ils vivent en tant que réfugiés, luttant contre la pauvreté, relevant les défis de l’intégration communautaire et s’inquiétant du sort d’une terre natale qu’ils ne reverront peut-être jamais. Les deux pays ont dû s’engager dans des efforts massifs de rapatriement après le milieu des années 1990 pour tenter de transformer une population fragmentée et traumatisée en une nation unie dans l’ambition d’assister au développement prometteur de son pays et aux améliorations du bien-être social qui compenseraient les décennies de douleurs et de pertes.
Tant pour le Rwanda que pour le Mozambique, les conséquences de la tragédie locale exigeaient la poursuite des efforts de réconciliation entre des communautés qui avaient connu de longues périodes de fracture. Dans le cas du Rwanda, la question centrale était perçue (de manière discutable) comme étant purement ethnique, tandis que celle du Mozambique était fondée sur l’idéologie (les marxistes du FRELIMO contre les anticommunistes et pro-occidentaux du RENAMO). Le Rwanda n’est pas étranger au détachement avec lequel les forces étrangères, dont la principale préoccupation est la protection de leurs intérêts géopolitiques et économiques, traitent les conflits qui se déroulent dans des pays africains occupant une position stratégique. Cette indifférence, qu’elle soit intentionnelle ou le résultat d’une deshumanisation des africains, renforce les forces oppressives chaque seconde qu’elle perdure.
Lorsque les injustices commises à l’encontre de la population tutsie du Rwanda ont culminé en une tentative d’extermination, même l’Allemagne nazie, avec son immense main-d’œuvre et ses ressources incomparables, n’aurait pu rivaliser avec la vitesse de la machine à tuer du Parmehutu. Les massacres étaient horribles et implacables, mais le monde les tolérait. La communauté internationale, en grande partie, a agi comme si elle était étourdie et dépassée par l’élan que les forces meurtrières avaient acquis et qui était, de manière fallacieuse, jugé trop important pour être arrêté en plein vol.
Le récit “il est trop tard pour faire quoi que ce soit maintenant” est celui recherché par les procrastinateurs indifférents, qui se cachent derrière la sémantique, la diplomatie, la bureaucratie, la diligence raisonnable et la procédure, pour éviter de s’impliquer là où ils prétendent ne pas avoir d’intérêts. Mais, pour ceux qui ont une conscience – un intérêt à sauver des vies humaines – lorsque la déshumanisation occasionnelle s’épanouit sur les mines laissées par des siècles de barbarie coloniale, rester assis et attendre l’explosion est soit sadique, soit insensé. En envoyant des soldats de la paix dans le nord du Mali en 2015 et en République centrafricaine en 2019, conformément aux principes de Kigali sur la protection des civils, ainsi que des forces au Soudan dans le cadre d’une mission de l’Union africaine au Darfour, le Rwanda, pays qui s’est engagé à respecter la responsabilité de protéger, ne s’est montré ni cruel ni stupide, contrairement à ses détracteurs.
WATCH: RDF Spokesperson, Col Ronald Rwivanga: The Rwanda Defence Force is committed to take any risk for the safety of civilians, we understand that this is a genuine concern, but on historical experience, we are ready to take this risk. pic.twitter.com/QNNvd97QCH
— The New Times (Rwanda) (@NewTimesRwanda) July 29, 2021
Pourquoi la cohérence dans l’action doit-elle offenser ?
La rapidité avec laquelle le Rwanda a envoyé des troupes au Mozambique indique plusieurs choses. La première est que le Rwanda n’a pas peur de reconnaître l’évidence – quelle que soit l’indifférence avec laquelle ceux qui feignent l’aveuglement agissent. Le Mozambique, avec ses métaux précieux et ses minéraux (uranium, or, graphite, calcaire et sel marin, pour n’en citer que quelques-uns), ses énormes réserves de gaz liquéfié et son interminable littoral de sable blanc, est le fantasme du pilleur. Considérez la richesse que les nations occidentales ont accumulée pendant les guerres de libération et les troubles violents qui en ont résulté sur les continents du Sud. Le Congo est peut-être l’exemple le plus évident et le plus proche de ce phénomène : ayant presque à lui seul alimenté la Belgique en or et en énergie pendant près d’un siècle. L’instabilité du Congo a incroyablement enrichi le colonisateur qui a toujours prétendu vouloir simplement le développement et le bien-être de ce pays.
Lorsque vous êtes potentiellement exposé au pillage auquel se livrent certaines puissances étrangères, il est essentiel d’avoir un allié qui peut pleinement saisir l’injustice du tort que vous avez subi de la part de mains semblables dans le passé.
Il était à la fois stupéfiant et amusant d’entendre certains affirmer que le véritable objectif de l’aide du Rwanda était “en fait” de s’approprier une part du gâteau des ressources mozambicaines. Et si les dirigeants mozambicains n’étaient pas aussi naïfs et stupides que ces conspirations infantilisantes le suggèrent ? Et si le Mozambique faisait appel au Rwanda parce qu’il estime qu’une alliance panafricaniste mutuelle n’entraînera pas le genre d’exploitation opportuniste associée aux étrangers qui interviennent habituellement dans les crises Africaines ?
En outre, la suggestion selon laquelle, alors que les États-Unis, la France et la Chine poursuivent des intérêts au Mozambique, le Rwanda est celui dont l’implication est mal intentionnée, est absurde et raciste, en particulier lorsqu’elle émane de ceux qui ne sont pas disposés à attribuer des intentions similaires à ces puissances ; seuls des Africains en manque d’amour propre iraient promouvoir une telle ineptie.
Les États-Unis (par l’intermédiaire d’Exxon Mobil Corporation), la France (par l’intermédiaire du groupe Total) et la Chine (par l’intermédiaire du groupe CNOOC) restent fermement implantés au Mozambique pour défendre les “droits” de leurs pays sur les ressources mozambicaines, à la suite d’accords commerciaux abusifs – du type de ceux que le Rwanda n’a pas le pouvoir d’imposer à d’autres gouvernements – conclus après la découverte de gisements massifs de gaz naturel liquéfié (GNL) sur les côtes mozambicaines. Si l’on considère que les États-Unis n’ont choisi de participer à la protection des civils mozambicains que lorsque les accords susmentionnés risquaient de s’effondrer (alors que la France et la Chine ont choisi d’ignorer complètement les massacres), il y a là un deux poids deux mesures flagrant : ça pue le racisme.
Quoi qu’il en soit, si conclure un accord économique avec un pays riche en ressources, même en période de troubles, est la chose rationnelle et noble à faire lorsque des non-Africains y participent, pourquoi cette logique ne s’étendrait-elle pas à tout échange commercial résultant de la participation rwandaise ? Mais surtout, pourquoi un tel échange devrait-il être considéré comme du “bon commerce” en ce qui concerne les étrangers mais comme de la cupidité lorsque le compatriote africain se présente ? La notion selon laquelle un allié africain veut se servir alors qu’un étranger souhaite simplement effectuer une transaction équitable est le type d’endoctrinement qui maintient des chaînes économiques et politiques autour des initiatives africaines.
Le deuxième message que la présence des forces de défense et de police rwandaises au Mozambique envoie est que le Rwanda ne tolérera pas le terrorisme, qu’il soit local ou sur le sol de ses alliés. Compte tenu de l’obsession mondiale dont fit l’objet Paul Rusesabagina -l’homme qui a revendiqué et célébré les attaques criminelles du FLN ayant fait 9 morts et plusieurs blessés parmi les civils – lorsque son arrestation donna aux médias occidentaux l’occasion de fustiger les dirigeants rwandais pour avoir utilisé des méthodes que les nations occidentales ont été les premières à employer contre ceux qui complotent contre elles, qui peut vraiment prétendre ignorer jusqu’où le Rwanda ira pour mettre fin au terrorisme ?
La dernière conclusion à tirer de l’intervention militaire du Rwanda au Mozambique est que ses modestes ressources financières n’entraveront pas son intégrité. L’indignation insensée découle de l’idée choquante selon laquelle le petit Rwanda – dont les ressources économiques peuvent faire pâle figure en comparaison de celles, par exemple, de cette puissance africaine autoproclamée qui traîne des pieds – pousserait l’arrogance jusqu’à d’offrir son aide. Et pourtant, comme le montre la politique étrangère de la plupart des pays riches, la moralité n’est guère une caractéristique des riches. Le Rwanda est une nation panafricaine qui puise dans les valeurs afro-communautaires de respect de la vie africaine pour se ranger systématiquement du côté de l’Africain opprimé. Qu’il s’agisse de coordonner l’arrivée en toute sécurité des réfugiés libyens au Rwanda au milieu d’une pandémie, de s’engager à poursuivre les terroristes du FLN même quand ils bénéficient de la protection de plusieurs puissances économiques pour échapper à la justice, ou d’aider le Mozambique à vaincre les terroristes d’Al Shabaab, le Rwanda ne diluera pas son intégrité pour apaiser les intimidés. Les Rwandais, qui ont vu notre petite nation enclavée réussir à se positionner comme la seule source d’aide constante sur laquelle des pays africains plus grands et plus riches peuvent compter en cas de besoin, n’en tireront que de la fierté.