Le président Thomas Isidore Noel Sankara aurait eu 70 ans le 21 décembre 2019. Mais à l’âge tendre de 37 ans, il fut abattu par les balles des soldats fidèles à son meilleur ami, Blaise Campaoré. La passion de Thomas Sankara était le progrès de l’Afrique ; son champ d’expérimentation était le Burkina Faso. Ce que le président Sankara voulait voir en Afrique, il l’élaborait, le mobilisait et le mettait en œuvre au Burkina Faso. Il présentait ensuite ses succès aux dirigeants africains, tout en les encourageant à dépasser ses réalisations. Les réalisations de Thomas Sankara sont trop nombreuses pour être résumées dans un essai ou même être élucidées dans un livre, mais quelques points clés seront notés ici.
La première réalisation de Thomas Sankara est peut-être son refus d’emprunter un centime au FMI ou à tout autre gouvernement ou organisme étranger, mobilisant au contraire ses concitoyens pour qu’ils investissent dans le développement communautaire et ne consomment que ce que la terre du Burkina Faso leur rapporte. De même, le président Sankara, au risque d’être la cible de la malveillance des gouvernements occidentaux, a fortement encouragé les autres dirigeants africains à éviter l’aide extérieure et les emprunts. Thomas Sankara a imploré les dirigeants africains de repenser la gouvernance en réorganisant les systèmes gouvernementaux et en redéfinissant ces systèmes selon une ligne différente de celle de l’Occident afin de réduire les coûts et de simplifier la gouvernance.
Panafricaniste profondément attaché à la cause du peuple africain, le président Sankara était gêné par le fait que les dirigeants africains ne s’investissaient pas sérieusement dans le progrès et l’unité du continent, mais étaient excités à l’idée de s’unir à – et de s’aligner sur – l’Occident. Lors d’une réunion des dirigeants africains à Addis-Abeba le 29 juillet 1987, il déplora la faible participation souvent enregistrée aux réunions où l’on discute de l’avancement de l’Afrique ; “Monsieur le Président”, avait-t-il demandé au président de l’UA, “combien de chefs d’État sont prêts à partir pour Paris, Londres ou Washington lorsqu’ils sont convoqués à une réunion là-bas, mais ne peuvent pas venir à une réunion ici à Addis-Abeba, en Afrique ?”
Comme Patrice Lumumba, Sankara s’est attiré les foudres du président français François Mitterrand lors de la visite de ce dernier à Ouagadougou en 1986. Citant l’esprit de la Révolution française de 1789, le président Sankara avait alors réprimandé la France pour ses politiques oppressives en Afrique et pour le traitement irrespectueux des immigrants africains en France. Mitterrand était fou de rage. Il avait l’habitude de voir les dirigeants africains ramper et se ratatiner sous la main puissante de la France. Jetant son discours préparé, Mitterrand s’en prit à Sankara, concluant par une menace à peine voilée : “C’est un homme un peu gênant, le président Sankara !”. Beaucoup diront que les jours de Sankara étaient comptés après cette visite fatidique.
Avant la visite du président français, Thomas Sankara, un homme aux convictions philosophiques profondes, avait en 1984 abandonné le nom de Haute-Volta, inventé et imposé par les colons, pour appeler la nation, Burkina Faso, “Pays des hommes intègres”. Cet exercice de changement de nom fut accompagné d’un exercice de déclaration d’actifs au cours duquel le président Sankara fit connaître ses biens, à savoir un réfrigérateur en état de marche et un autre en panne, trois guitares, quatre motos ordinaires et une voiture. Thomas Sankara avait plafonné son salaire à 462 dollars et avait interdit à la fois l’accrochage de son portrait dans les lieux publics et toute forme de révérence attachée à sa personne ou à sa présence. Le Burkina Faso, c’est les Burkinabés, et ils sont 7 millions. Tel semblait être son principe directeur.
Thomas Sankara a cru et investi dans l’éducation des Burkinabés. Le taux d’alphabétisation était de 13% lorsqu’il devint président en 1983 ; au moment de son assassinat en 1987, il était de 73%. Sous son administration, de nombreuses écoles furent construites grâce à la mobilisation des communautés, des enseignants furent formés, et les femmes fortement encouragées à poursuivre leurs études et leur carrière.
La situation agricole du Burkina Faso a connu un tournant sous l’administration de Thomas Sankara. Tout d’abord, la consommation de produits importés avait été fortement découragée et les Burkinabés avaient à nouveau repris leurs papilles gustatives à la France. Thomas Sankara a redistribué les terres en friche des riches propriétaires terriens aux paysans désireux de les cultiver. En trois ans, la culture du blé est passée de 1700 kg à 3800 kg par hectare. Son administration s’est ensuite lancée dans un exercice intensif d’irrigation et de fertilisation, ce qui a conduit à un succès exceptionnel pour d’autres cultures, notamment le coton. Le Burkina Faso est rapidement devenu autosuffisant en matière de production alimentaire, tandis que le coton était utilisé pour fabriquer des vêtements après l’interdiction de l’importation de vêtements et de textiles.
Convaincu que la santé des Burkinabés était primordiale dans toute conversation concernant le progrès national, le Président Sankara avait lancé un programme national d’immunisation qui, en quelques semaines, avait permis de vacciner plus de 2,5 millions d’enfants contre la méningite, la fièvre jaune et la rougeole. L’accès aux soins de santé était un droit fondamental de chaque Burkinabé, et le Président Sankara avait mobilisé les communautés à travers le pays pour construire des dispensaires médicaux, assurant ainsi la proximité des soins de santé primaires aux citoyens dans les zones les plus reculées.
Le Président Sankara s’était aussi attaqué de front aux problèmes d’infrastructures, principalement en mobilisant les citoyens, riches et pauvres, comme ouvriers du bâtiment pour la construction de routes d’accès et d’autres structures à travers le pays. En peu de temps, toutes les régions du Burkina Faso furent reliées par un vaste réseau de routes et de voies ferrées. En outre, plus de 700 km de rails furent posés par les citoyens pour faciliter l’extraction du manganèse. Pour permettre aux Burkinabés de passer des bidonvilles à des maisons dignes, des usines de briques furent construites ; elles utilisaient des matières premières provenant du Burkina Faso. À titre d’exemple, tous ces résultats ont été obtenus sans recourir à l’emprunt ou à une aide financière extérieure, dans un pays considéré comme l’un des plus pauvres d’Afrique avant que Thomas Sankara n’en devienne le président.
Homme d’intégrité et de transparence, Thomas Sankara n’en attendait pas moins de toute personne occupant un poste de direction au Burkina Faso. Il avait refusé d’utiliser un système de climatisation en tant que président du pays, car selon lui, cela aurait été vivre un mensonge, la majorité des Burkinabés ne pouvant pas se le permettre. Dès son arrivée au pouvoir, Thomas Sankara avait vendu la flotte de voitures Mercedes du gouvernement et avait ordonné l’utilisation de la marque de voiture la moins chère disponible au Burkina Faso, la Renault 5. Les salaires des fonctionnaires, y compris ceux du président, furent réduits de manière drastique, tandis que l’utilisation de chauffeurs et les billets d’avion de première classe furent proscrits.
Avant que la promotion des femmes ne devienne un mot à la mode dans le monde entier, le président Thomas Sankara avait ouvert la voie en plaidant pour l’égalité de traitement des femmes. Son cabinet comptait de nombreuses femmes nommées, et de nombreux postes gouvernementaux étaient occupés par des femmes. Les mutilations génitales féminines, la polygamie, les mariages de mineurs et les mariages forcés furent interdits, tandis que les femmes étaient encouragées à s’engager dans l’armée et à poursuivre leurs études, même pendant leur grossesse.
Thomas Sankara était passionné par l’environnement et sa conservation. Il encourageait les citoyens à cultiver des pépinières forestières, et plus de 7000 pépinières villageoises furent créées et maintenues, permettant de planter 10 millions d’arbres afin de repousser l’empiètement du désert du Sahel.
Le président Sankara a recherché la paix avec ses adversaires. Le matin où il fut abattu, il était armé d’un discours sur lequel il avait travaillé toute la nuit, visant à réconcilier les factions opposées au Burkina Faso et à répondre aux griefs de certaines sections de la main-d’œuvre. Il n’aura pas vécu pour présenter ce discours.
Dans le court laps de temps dont il a disposé, les Burkinabés ont progressé en tant que nation et en tant que peuple. En dehors des signes physiques de progrès déjà énumérés, l’impact psychologique social sur les Burkinabés, d’être vraiment et complètement indépendants pour la première fois depuis l’incursion coloniale de la fin du 19ème siècle, fut énorme. Ironiquement, c’est cette même indépendance vis-à-vis de la France, qualifiée de “détérioration des relations” avec les anciennes puissances coloniales, que le capitaine Blaise Campaore avait cité comme l’une des principales raisons pour lesquelles il avait fomenté le coup d’État contre Sankara.
L’Afrique a produit beaucoup de grandeur ; qu’on ne dise jamais que le continent manque de grandeur. À vrai dire, les grandes personnes de caractère et de principe de l’Afrique ont souvent été réduites au silence par les forces de la cupidité, de l’exploitation et de l’égoïsme. L’Afrique doit alors apprendre à construire des systèmes forts et durables pour la protection de la vertu, la promotion du caractère et le rejet du vice. L’Afrique aurait été meilleure que ce qu’elle est aujourd’hui, si Thomas Noel Isidore Sankara était encore en vie en tant qu’homme d’État aîné pour célébrer son 70e anniversaire. Pourtant, dans la mort, il continue à servir d’inspiration à de nombreux Africains sur ce que nous pouvons devenir en tant qu’individus et en tant que continent si nous choisissons l’altruisme, l’engagement et la passion pour le continent et son peuple comme moteurs de nos actions.