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Le pèlerinage politique des leaders africains du gouvernement et de l’opposition a des relents de validation néocoloniale

Il est irréaliste d'attendre de l'Afrique qu'elle inspire le respect de la communauté internationale alors que ses dirigeants sont constamment à la recherche d'une validation occidentale
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Alors que l’élection présidentielle de février 2023 se rapproche, l’Institut royal britannique des affaires internationales, connu sous le nom de Chatham House, est devenu la Mecque politique des principaux prétendants à la présidence au Nigeria. Entre le 5 décembre 2022 et le 18 janvier 2023, trois des principaux candidats à la présidence, Bola Ahmed Tinubu, Peter Gregory Obi et Rabiu Musa Kwankwaso, ont visité la Chatham House, tandis que le quatrième, Atiku Abubakar, a opté pour une rencontre séparée avec les représentants du gouvernement britannique à Londres. Ce pèlerinage des principaux candidats à la présidence du Nigeria à la Chatham House est très problématique pour diverses raisons.

La Chatham House est fière d’être un institut politique de premier plan au niveau mondial, dont la mission est d’aider les gouvernements et les sociétés à construire un monde sûr et durable, prospère et juste, par le dialogue, la recherche et le leadership. En conséquence, la Chatham House a accueilli un large éventail de dirigeants et d’orateurs du monde entier, dont Mahatma Gandhi, Nelson Mandela, Uhuru Kenyatta, Benjamin Netanyahu, Joe Biden, Muhammadu Buhari, Atiku Abubakar, William Ruto, Raila Odinga, etc. Toutefois, en ce qui concerne l’Afrique, ces évènements sont plus complexes qu’il n’y paraît. Au-delà de sa mission déclarée, et en tant que l’un des groupes de réflexion largement financé par le gouvernement britannique, la Chatham House continue de servir de poste d’écoute pour le pouvoir britannique afin de promouvoir ses intérêts en Afrique. Ainsi, le pèlerinage politique, loin d’élever la stature internationale des politiciens africains, les dépeint comme des serviteurs d’un ordre néocolonial et perpétue l’idée que seuls ceux qui sont validés par des puissances étrangères sont dignes d’occuper des postes de leadership en Afrique.

La preuve en est que certains des principaux candidats à la présidence du Nigeria, en particulier Bola Ahmed Tinubu, du parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC), ont évité comme la peste tous les médias locaux, les conférences et les débats présidentiels. En août 2022, Tinubu n’a pas honoré l’invitation à assister à la conférence annuelle de l’Association du barreau nigérian, à laquelle participaient Atiku Abubakar et Peter Obi, respectivement du Parti démocratique populaire (PDP) et du Parti travailliste (LP). Un mois plus tard, Tinubu a refusé d’assister au Pacte de paix pour les élections de 2023, organisé par le Comité national pour la paix. Il est donc ironique qu’il ait été le premier candidat à la présidence à honorer l’invitation de Chatham House le 5 décembre 2022. Inutile de dire que son attitude met en exergue son mépris à l’égard des médias nigérians et d’autres structures nationales de contrôle politique et son adulation des plateformes et médias étrangers. Cela suggère clairement que Tinubu répète le même livre d’hymnes que le président Muhammadu Buhari, étant donné la préférence intransigeante de ce dernier pour accorder des interviews aux journalistes étrangers, en particulier dans les pays étrangers, tout en ignorant souvent l’opportunité de parler au peuple qu’il dirige par le biais des médias locaux.

Et pour aggraver les choses, tous les candidats qui se sont rendus à l’événement de Chatham n’ont pas considéré l’équivalent nigérian de Chatham House – l’Institut nigérian des affaires internationales (NIIA) et l’Institut national pour les études politiques et stratégiques (NIPSS) – comme des plateformes dignes de partager leurs programmes de campagne. À l’exception peut-être du candidat à la présidence du Parti social-démocrate, Prince Adewole Adebayo, aucun autre candidat n’a utilisé la plateforme du NIIA pour partager ses programmes politiques avec les électeurs nigérians en vue des élections de février et mars 2023.

Ces réunions à l’étranger renforcent également l’impression des Africains que ces invitations sont l’occasion pour les barons occidentaux d’évaluer les différentes positions par rapport à leurs intérêts et de négocier des accords en coulisse avec les futurs élus africains – une pente glissante vers la perpétuation de la corruption sur le continent aux dépens des électeurs africains.

Pire encore, alors que le Nigéria, parmi d’autres pays africains, se targue d’avoir une importante diaspora au Royaume-Uni et dans d’autres parties du monde, les principaux candidats nigérians à l’élection présidentielle ne sont guère disposés à s’engager auprès de ces communautés et à tenter de gagner leur soutien. Exception faite de Peter Obi du LP qui a voyagé à travers l’Europe et les Amériques entre août et septembre 2022 pour tenir des réunions publiques avec les communautés de la diaspora nigériane. Contrairement à la tournée mondiale de Peter Obi en 2022, la futilité du rassemblement à la Chatham House apparaît au grand jour lorsqu’elle est liée aux lois électorales en vigueur au Nigeria, qui ne reconnaissent pas le vote de la diaspora. Cette anomalie et la ruée vers les événements de Chatham House parmi les politiciens nigérians trahissent leur recherche insatiable de validation néocoloniale.

Plus de 60 ans après la colonisation européenne de l’Afrique, les élites nigérianes souffrent toujours d’une mentalité coloniale apparemment incurable qui montre une préférence pour tout ce qui vient d’Europe et d’Amérique, y compris les traitements médicaux, l’éducation, le tourisme, la mode, la nourriture et les boissons, et l’automobile. Il n’est donc pas surprenant que l’extravagance politique de Chatham House soit présentée comme un exploit majeur par les candidats à la présidence invités et leur armée de partisans.

Chatham House constitue la pierre angulaire intellectuelle de la formulation et de la mise en œuvre de la politique étrangère britannique en Afrique et ailleurs. Et c’est pourquoi la prudence est de mise étant donné les relations tumultueuses entre l’Afrique et le gouvernement britannique, notamment l’histoire de ce dernier en matière d’ingérence politique dans les affaires internes de l’Afrique. Conformément à ses tactiques permanentes de division et de domination en Afrique, la Grande-Bretagne considère que la  confrontation est importante pour ses calculs politiques et économiques car cette dernière est utilisée pour contrôler ceux qui gagnent les élections au cas où ils choisiraient de devenir récalcitrants et antagonistes envers leurs patrons néocoloniaux. Il n’est donc pas surprenant que les invités soient les quatre candidats présidentiels de premier plan au Nigeria, qui sont considérés comme des présidents potentiels ou des figures majeures de l’opposition.

Plus important encore, il est irréaliste d’attendre de l’Afrique qu’elle inspire le respect de la communauté internationale alors que ses dirigeants sont constamment à la recherche d’une validation occidentale. Aucun politicien occidental n’a jamais considéré les groupes de réflexion africains comme des plateformes valables pour discuter des questions qui touchent leur environnement national. Plus de 60 ans après le colonialisme, les dirigeants et les politiciens africains devraient commencer à aborder consciencieusement les questions qui continuent à alimenter la manipulation historique et externe des affaires intérieures africaines au profit d’intérêts politiques et économiques étrangers. C’est le moyen le plus sûr de promouvoir un ordre mondial où les relations entre l’Afrique et ses partenaires mondiaux sont fondées sur le respect mutuel et l’intégrité souveraine des États-nations plutôt que sur le clientélisme.

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