L’ Année du retour et son programme dérivé “Au-delà du retour” est un appel du gouvernement ghanéen à la diaspora africaine pour qu’elle revienne et fasse partie de la transformation de l’Afrique avec le Ghana comme porte d’entrée. Cependant, en regardant de près la rhétorique ainsi que les événements associés au “Retour”, on peut se demander si une réflexion sérieuse a été menée sur le programme et ou sur les ultimes bénéficiaires. Malheureusement, le “Retour” a été monétisé assez lourdement par le gouvernement, les particuliers et les entreprises non africaines et perd sa valeur en tant que catalyseur de notre connexion et de notre rassemblement en tant que peuples africains. Nous devons donc repenser tout le concept.
Lors d’un événement mondain en septembre 2018 au National Press Club, à Washington DC, le président du Ghana Nana Addo Dankwa Akufo-Addo avait lancé l’Année du retour (YOR) 2019 en exhortant les Africains de la diaspora à rentrer au pays. Dans ce processus, les obtentions de visas allaient être assouplies (et non supprimées) et les rapatriés (en anglais returnees ou ceux qui reviennent, une identité promue par la YOR) allaient se voir accorder un droit de résidence – un nom légal pour parler de taxation sans représentation. “Plus jamais les Africains ne seront réduits en esclavage”, avait déclaré le président avec une attitude calme, comme si les Noirs=Africains réduits en esclavage dans diverses parties de l’Afrique du Nord, en particulier dans une Libye déchirée par la guerre, n’étaient pas des Africains et/ou ne comptaient pas.
Je me tiens sur les rives d’Oguaa, maintenant connu sous le nom de Cape Coast. Ici, on me présente une vue du donjon des esclaves – qui est un rappel solennel des conséquences de notre démembrement – où beaucoup de nos gens ont été emprisonnés après leur capture dans les circonstances les plus impures et “exportés” vers les Amériques. Ici, de nombreux Africains de la diaspora viennent embrasser la sombre histoire de notre passé. Cependant, le gouvernement ghanéen tire un profit massif de ces rencontres car il faut payer un droit d’entrée. Bien que pour les Ghanéens, au sens colonial du terme, le droit d’entrée soit beaucoup moins élevé, je trouve troublant que les donjons qui ont tronqué l’héritage ancestral de nombreux Africains de la diaspora nous voient maintenant payer autant qu’un Européen. Il en va de même dans de nombreux espaces publics. Pourtant, l’Année du retour aurait dû nous permettre de remédier à certains de ces déséquilibres moraux, car accorder le droit au Retour, c’est reconnaître que la diaspora noire mondiale est essentiellement une partie et une parcelle des millions de Noirs=Africains sur le continent. Dans cette reconnaissance, nos actions doivent être aussi fortes, sinon plus fortes, que nos paroles, même si elles n’y sont pas parvenues, dans le cas d’espèce.
Pendant ce temps, la fin de l’année 2018 a vu un certain nombre d’Africains célèbres sur la scène hollywoodienne, menés par Boris Kodjoe, qui est d’origine ghanéenne, revenir au Ghana. Sur place, le luxueux hôtel européen Kempinski a accueilli le lancement du festival, dont l’objectif était de permettre aux Africains de la diaspora de retrouver leurs racines. Un esprit curieux pourrait se demander : Avec quels vols sommes-nous venus ici ? Quelles banques vont profiter de nos transactions ? Quels hôtels d’Accra ont accueilli nos célébrités ? Nous pourrions continuer, mais mon espoir est que nous réalisons que l’état actuel du Retour de la diaspora africaine au Ghana bénéficie monétairement à des sociétés principalement dirigées par des non-Africains. Le danger de l’Année du retour 2019 était et continue d’être notre manque d’esprit critique envers cet acte.
Une Année du retour digne de son nom
Pour que l’Année du retour 2019 et ses projets ultérieurs, baptisés Au-delà du retour, soient dignes d’intérêt, il faudrait un effort honnête pour revenir à nous-mêmes, à notre voie, la voie ancestrale. Ainsi, nous éviterons les dîners fantaisistes au nom des lancements et des conférences et leurs compléments récalcitrants, les festivals de quelques classes d’Africains, et nous nous engagerons à accomplir la tâche sérieuse et fastidieuse de nous ré-apprivoiser à travers le temps et l’espace. Cela signifie également raconter à nouveau notre histoire dans son exactitude et ne pas propager les mensonges de mythes vieux de 400 ans. Notre programme éducatif, des deux côtés de l’Atlantique ainsi que dans le monde entier, sera sérieusement remis en question et restructuré. Nous nous engagerons dans la tâche de la célébration orientée vers la construction pour nous-mêmes d’un grand État central noir.
Notre Retour sera mental, émotionnel, psychologique, économique, spirituel en plus d’être physique. Si nous ne nous attelons pas à cette tâche sérieuse et ardue, nous ne devrions pas être surpris de voir Coca-cola, Kempinski ou British Airways sponsoriser un “Retour” des Africains de la diaspora. Tant que notre rassemblement profite économiquement à nos oppresseurs, nos tentatives bâclées d’un “Retour” indéfini ne feront que faire rire nos oppresseurs (et leurs comptes en banque).
Mais comme cela peut sembler être déjà le cas, nous nous dirigeons peut-être déjà vers cette voie – où la célébration sérieuse est sacrifiée pour des célébrations momentanées. En effet, la plupart des activités officielles de l’Année du retour 2019 et au-delà furent des festivals, des bazars et des concerts de musique en tout genre. C’est ce que Agya Ayi Kwei Armah appelle “le syndrome du festival” (jamborees zombies). Selon les mots réfléchis d’Agya Armah dans Remembering the dismembered continent :
“L’objectif apparent de ces festivals est de promouvoir la culture africaine, de la développer. Dans la pratique, ils ne font rien de tel. En fait, ils ne le peuvent pas. Voici pourquoi. La culture est un processus, pas un événement. La promotion de la culture nécessite un processus régulier, et non un éparpillement incohérent de spectacles vides de sens. Le développement de la culture dépend d’une série d’activités de soutiens régulières et soutenues dont la qualité première n’est pas une extravagance spectaculaire mais une continuité calme”.
Cependant, nous semblons être piégés dans l’opulence des spectacles bêtes et des initiatives touristiques.
Conscience connectée
Une personne sage a dit un jour que si vous regardez tout à travers le prisme de l’argent, vous manquerez la vue d’ensemble. Cependant, en racontant les gains de l’Année du retour 2019, le ministre du Tourisme du Ghana et les médias ont mis l’accent sur l’argent accumulé grâce au buzz autour de la campagne, soit un montant de 1,9 milliard de dollars américains. Il semble que l’Année du retour 2019 ait donné au Ghana une impulsion majeure pour dynamiser ses campagnes touristiques et que le Retour soit ainsi devenu : une initiative touristique. Plus d’une centaine d’Africains de la diaspora noire mondiale ont reçu la citoyenneté dans un effort de donner une certaine action significative aux discussions du Retour.
Peu de choses ont été dites sur les connexions réelles et significatives qui ont eu lieu à la suite de la campagne. Peut-être que peu a été dit parce que peu a été fait. Parfois, les intentions envers ce qui doit être fait ne laissent que peu ou pas d’espoir. Prenez par exemple la proposition de développer une grande partie de Cape Coast d’après une invention de l’imagination eurasienne (ɛ.n. Wakanda City of Return). De telles propositions de villes ne tiennent pas compte de l’opinion de ceux qui vivent actuellement à cet endroit ni de la manière dont nous pouvons nous rassembler et construire ensemble de manière significative. Pour ce faire, nous pouvons tenir compte des mots de Nana Marcus Garvey dans L’Afrique pour les Africains, lorsqu’il écrit :
“On espère que lorsque le temps sera venu pour les Nègres américains et antillais de s’installer en Afrique, ils réaliseront leur responsabilité et leur devoir. Il ne s’agira pas d’aller en Afrique dans le but d’exercer une domination sur les autochtones, mais l’objectif de l’Universal Negro Improvement Association sera d’établir en Afrique cette coopération fraternelle qui fera que les intérêts de l’autochtone africain et du Nègre américain et antillais seront les mêmes, c’est-à-dire que nous entrerons dans un partenariat commun pour construire l’Afrique dans l’intérêt de notre race”.
L’Afrique est devenue une tarte dont beaucoup s’efforcent de prendre une bouchée et le Ghana est en train de devenir sa porte d’entrée.
Nous devons nous efforcer de connecter nos consciences entre elles pour construire et créer, car des événements malheureux nous ont rendus étrangers les uns aux autres et à nous-mêmes. “Contre la mort apportée par la blancheur” écrit Agya Ayi Kwei Armah “seule la plus grande force de connexion prévaudra ; le travail des esprits connectés, des âmes connectées, voyageant le long de cette seule voie, notre voie, la voie. Pensée connectée, action connectée ; c’est le début de notre voyage de retour vers nous-mêmes, pour vivre à nouveau la vie connectée, en voyageant à nouveau sur notre chemin, le chemin”. Cela nécessitera des efforts collectifs sérieux et dévoués.
C’est avec un espoir fervent qu’au fur et à mesure que le Ghana institue le programme ultérieur appelé “Au-delà du retour”, nous verrons plus de constructions communautaires intentionnelles et d’actes d’intégration orientés vers une reconquête de notre soi africain. L’irrationalité de l’espoir réside dans l’absence d’un programme réalisable et c’est ce vers quoi je pense que nous devons nous engager. On nous a montré la porte, c’est à nous de la franchir.
Alors que nous nous engageons dans l’Année du retour et au-delà, je ne peux m’empêcher de me demander : vers quoi retournons-nous ? Que retournons-nous pour construire ? Comment faire de notre Retour une fontaine nourrissante qui alimente notre poussée vers la fahodie (liberté) et la souveraineté ? Ce ne sont que quelques questions qui traînent dans mon esprit alors que je mets au repos mes pensées. Cependant, pour ceux d’entre nous qui cherchent à revenir, il faut veiller à ce que, dans notre quête d’une connexion, nous ne nous aliénions pas davantage. Cela signifie que nous devons être critiques et réfléchir à nos voyages. À ceux qui ont soif de revenir mais qui ne peuvent pas le faire pour une raison quelconque ; si la joie du mouvement semble inaccessible cette année, que nos âmes ne désespèrent pas mais trouvent du réconfort dans l’anticipation alors que nous nous “rassemblons” lentement et régulièrement. Car notre Retour éventuel, comme un battement de cœur sain, ne prendra pas une année mais sera le voyage de toute une vie.