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Le déploiement de la SADC en RDC sous l’égide de l’Afrique du Sud déstabilisera la région de l’Afrique de l’Est

Les occasions de paix ont été nombreuses. Elles ont toutes été rejetées.
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Le 15 décembre, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a déployé des forces en République démocratique du Congo (RDC), soi-disant pour “faire face à l’instabilité et à la détérioration de la situation sécuritaire dans l’est de la RDC“. Cette action était censée être conforme au pacte de défense mutuelle de la SADC, qui stipule que “toute attaque armée perpétrée contre l’un des États membres sera considérée comme une menace pour la paix et la sécurité régionales et fera l’objet d’une action collective immédiate“. Mais le déploiement de la SADC répondra-t-il à l’insécurité en RDC ou déstabilisera-t-il davantage la région de l’Afrique de l’Est ?

Le refus obstiné de Kinshasa d’envisager des pourparlers de paix

Considérons ceci. Le déploiement a lieu, avec en toile de fond, la frustration persistante de Tshisekedi vis-à-vis de ses collègues de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). Ceux-ci refusaient en effet de transformer le mandat de leur force déployée, d’une mission de maintien de la paix (visant à amener le gouvernement de la RDC et les rebelles du M-23 à un cessez-le-feu et, à terme, à négocier une solution politique) – en une mission offensive (visant à vaincre militairement les rebelles du M23). Initialement, Tshisekedi avait cherché à désigner le M-23 comme une organisation terroriste et, par conséquent, à faire pression sur les dirigeants de la CAE pour qu’ils entreprennent une action militaire. Cependant, lors du sommet de Luanda en novembre 2022 et selon des sources proches de la réunion, le président Lourenço a clairement indiqué que ces rebelles avaient des griefs politiques légitimes et qu’ils ne pouvaient donc pas avoir cette désignation selon les souhaits de Tshisekedi. La position de Lourenço explique la réticence de l’Angola à se joindre au déploiement de la SADC, dirigé par l’Afrique du Sud. L’Angola a par ailleurs insisté à plusieurs reprises sur sa volonté de se déployer uniquement pour superviser le cantonnement des rebelles du M-23 et le président Lourenço a souligné que Kinshasa devait créer les conditions nécessaires à ce processus en incluant les rebelles dans le processus de paix de Nairobi. En d’autres termes, contrairement à l’Afrique du Sud, à la Tanzanie et au Malawi, l’Angola, membre de la SADC, soutient un processus mené par le bloc de la CAE au lieu de le saper.

À cet égard, le président Lourenço s’est fait l’écho des vues du président Museveni, que ce dernier a exprimées dans une longue conférence donnée à des représentants du gouvernement de la RDC qui s’étaient rendus en Ouganda. Le président Museveni a souligné le même message concernant la légitimité des griefs du M-23 et le fait que le seul moyen de sortir du conflit était un règlement politique.

Même le président Ruto, qui avait été initialement mal informé sur la nature du conflit  a commencé à déclarer ouvertement que seule une résolution politique était viable. Or, Tshisekedi espérait que Ruto finirait par se rallier à sa proposition. En effet, il s’attendait à ce que la force de la CAE rencontre un M-23 belliqueux et que l’hostilité qui en résulterait contribuerait à transformer le mandat de maintien de la paix en un assaut offensif. Cependant, la décision de la force du M-23 de remettre à la force de la CAE certains des territoires qu’elle avait capturés, à l’amiable et sans confrontation, et la camaraderie qui a résulté de cette coopération, ont créé et renforcé la perception qu’il s’agissait d’un mouvement politiquement mûr et non des terroristes comme le prétendait Tshisekedi. Cependant, les négociations n’étaient pas politiquement défendables pour Tshisekedi, étant donné qu’il avait promis aux Congolais qu’il vaincrait le M-23 et que la force de la CAE s’était déployée en RDC à cette fin. C’était un mensonge à son peuple dans la perspective d’une campagne politique agitée avec des résultats qu’il ne pouvait pas prévoir autrement.

Les dirigeants de l’EAC ayant repoussé ses avances, à l’exception du Burundais Evariste Ndayishimiye, Tshisekedi s’est tourné vers la SADC pour obtenir une bouée de sauvetage politique, afin de tenir sa promesse de vaincre militairement le M-23. La SADC a d’abord résisté à ses appels, mais a fini par céder et a décidé de déployer des soldats. Son hésitation était due à une évidence : son intervention militaire briserait le consensus de l’EAC sur la légitimité des griefs politiques du M-23 et sur l’opportunité d’une solution politique plutôt que militaire. Le choix de la SADC constitue un affront à la CAE. Plutôt que d’apporter la stabilité à la RDC, le déploiement de forces militaires de la SADC déstabilisera vraisemblablement la région.

Dissonance cognitive de la Tanzanie et de l’Afrique du Sud

A peine le déploiement de la SADC confirmé, le Burundi s’est retiré du consensus de l’EAC qu’il avait mené avec son président à la tête du bloc régional. Ndayishimiye a ensuite déployé des forces sur une base bilatérale, contribuant ainsi aux efforts visant à confronter militairement le M-23.

La Tanzanie n’a pas déployé de forces dans le cadre de la force est-africaine. Cependant, lorsque la SADC a décidé un déploiement militaire, la Tanzanie s’est empressée de se joindre à elle et d’envoyer ses forces pour affronter le M23. Il est clair que sa double appartenance à l’EAC et à la SADC a produit une dissonance cognitive, si l’on en croit une déclaration récente sur les réseaux sociaux. Dans cette déclaration, January Makamba, le ministre des affaires étrangères du pays, a tweeté ceci en réponse aux rapports et aux éloges selon lesquels la Tanzanie combattait le M-23 :

La Tanzanie n’est en guerre avec aucun groupe armé en RDC. Nous sommes en RDC dans le cadre de la mission de la SADC (SAMIDRC), qui résulte de la décision du sommet de la SADC d’août 2023 d’accepter la demande du gouvernement de la RDC, conformément au pacte de défense mutuelle de la SADC, de déployer une mission militaire pour l’aider à relever les défis en matière de sécurité dans sa partie orientale. Un certain nombre de pays de la SADC fournissent des troupes et des moyens financiers pour la mission. La description faite dans le titre est erronée car aucune force armée d’un Etat membre contributeur de troupes n’opère de manière indépendante, en dehors d’un commandement opérationnel unifié de la mission. Il convient également d’ajouter que la Tanzanie s’aligne sur les processus de Luanda et de Nairobi, des mécanismes politiques régionaux pour une résolution pacifique du conflit dans l’est de la RDC“.

La déclaration de Makamba trahit la dissonance cognitive de la Tanzanie car la mission de la SADC est tout à l’opposé des mécanismes de la CAE/Luanda. S’aligner sur les deux positions n’est pas seulement trompeur, cela indique une tentative de dissimulation de la part du ministre par rapport à ce qu’il espère que le peuple tanzanien comprenne à propos du déploiement des forces tanzaniennes dans les Kivus. En effet, lorsque Makamba déclare que les forces tanzaniennes sont placées sous un commandement opérationnel unifié, il confirme le fait que ses forces sont impliquées dans une alliance génocidaire, une coopération qui implique les tristement célèbres FDLR. Il s’agit des génocidaires sanctionnés par les Nations unies qui ont commis un génocide au Rwanda, au cours duquel près d’un million de personnes ont péri, puis qui se sont installés en RDC où ils ont trouvé un refuge sûr. Ce sont ces mêmes personnes avec lesquelles les forces de défense du peuple tanzanien sont liées sur le plan opérationnel dans le cadre d’un “commandement opérationnel unifié”. Ce sont ces mêmes personnes qui ont incité Nyerere et Mandela à armer le Rwanda lorsque le gouvernement post-génocide a cherché à les déloger des camps de réfugiés qu’ils contrôlaient au Zaïre et à partir desquels ils préparaient et lançaient des attaques contre le pays qu’ils avaient fui après leur défaite en 1994.

En parlant de génocide et de dissonance cognitive, l’Afrique du Sud n’a apparemment aucun scrupule à mener un procès contre Israël qu’elle accuse de commettre un génocide contre les Palestiniens tout en déployant des forces pour “aider” un gouvernement qui est coupable d’incitation à la haine ethnique et de mener un génocide contre les Tutsis congolais comme solution à ses problèmes politiques internes. Le crime originel des Tutsis congolais semble être leur lien de parenté avec les Rwandais de l’autre côté de la frontière. Pour certains Congolais, à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, c’est une raison suffisante pour les rayer de la carte de la RDC. Le rejet par Thabo Mbeki du type de discours de haine soutenu par l’État en RDC et des meurtres qui y sont liés aurait dû inciter l’Afrique du Sud et la SADC à réfléchir à deux fois avant d’intervenir de manière offensive.  En effet, le gouvernement de la RDC a ouvertement admis son alliance avec ceux qui ont commis le génocide contre les Tutsi au Rwanda, sans doute pour bénéficier de leur expertise en matière de génocide. Les FDLR sont une organisation sanctionnée par les Nations unies. En concluant une alliance avec elles par le biais de son partenariat de sécurité avec le gouvernement de la RDC, la SADC viole toutes les sanctions de l’ONU à l’encontre des FDLR. En tant que complice, la SADC enfreint désormais les résolutions des Nations unies et est directement responsable de ce que font les FARDC, les diverses milices congolaises rebaptisées Wazalendo et les FDLR.

Ironiquement, la SADC abandonne le Mozambique et déstabilise la région de l’Afrique de l’Est au moment où les activités terroristes se multiplient dans ses zones de responsabilité dans la province de Cabo Delgado, où elle a déployé des troupes à contrecœur en 2021. Au lieu de renforcer ses déploiements au Mozambique où le terrorisme menace la stabilité de l’ensemble du bloc sud, la SADC a choisi de renforcer une coalition composée des mêmes forces qui ont semé le chaos dans la région des Grands Lacs au cours des 30 dernières années, depuis le génocide contre les Tutsi au Rwanda.

L’escalade militaire est-elle une solution à un conflit évitable ?

L’obsession de la SADC et de l’ONU pour un groupe (le M-23) dont les membres sont chassés de leurs maisons ancestrales et dont les familles ont fui vers les pays voisins devrait inquiéter tout observateur impartial. Le plus tragique ici est que la catastrophe humanitaire induite par le refus de Kinshasa de négocier un règlement politique a conduit à un conflit qui aurait pu être évité. Les occasions de paix ont été nombreuses. Elles ont toutes été rejetées sur l’autel de la stratégie militaire de la corde raide et de la politique tribale.

Il est désormais de notoriété publique qu’avant le déclenchement de la guerre actuelle, le gouvernement de la RDC a accueilli les dirigeants du M23 à Kinshasa pendant 14 longs mois. Pendant toute la durée de leur séjour dans des hôtels aux frais du gouvernement, ce dernier a choisi de ne pas se lancer dans des négociations visant à prévenir les affrontements armés. Plus tard, un cessez-le-feu de plusieurs mois a été imposé aux belligérants par les forces est-africaines. Pourtant, Kinshasa n’a pas voulu discuter avec les rebelles pour mettre fin à la tragédie humaine. Au lieu de cela, il a choisi d’envenimer la situation.

À l’heure où j’écris ces lignes, les forces de la SADC ont rejoint la coalition meurtrière de Kinshasa dans des opérations offensives destinées à reprendre des territoires aux rebelles. De facto, la SADC jette à la poubelle les processus de Nairobi et de Luanda. Cependant, au lieu de stabiliser le pays, les actions de la SADC ont conduit à la perte de nouveaux territoires au profit des rebelles, à mesure que ceux-ci progressent vers la ville de Goma, qui aurait été encerclée. La récente décision de l’Afrique du Sud d’envoyer des troupes supplémentaires incite de facto le M23 à s’emparer de Goma pour empêcher d’autres déploiements.

Pendant ce temps, l’ONU, dont le mandat est de maintenir la paix, aide la SADC et la coalition de Kinshasa avec l’outil de guerre le plus important: la collecte de renseignements. Le chef de la mission de l’ONU en RDC, Bintou Keita, se vante à plusieurs reprises de l’aide apportée par la MONUSCO à ces offensives, en violation des résolutions de l’ONU et des accords régionaux qui interdisent la collaboration avec les FDLR et les mercenaires, ainsi que l’utilisation d’enfants soldats. C’est comme s’il n’y avait pas d’adulte responsable dans la prise de décision au sein de la SADC et de l’ONU. Le danger de voir la situation échapper à tout contrôle devrait être évident pour tout le monde si des combats avaient lieu à Goma et débordaient sur le Rwanda, par exemple.

Si la SADC avait de véritables raisons d’aller aider la RDC, elle aurait dû au moins exiger que la RDC vienne à elle exempt de reproche . Au lieu de cela, elle a cherché de l’aide alors qu’elle était déjà en partenariat avec un groupe criminel génocidaire. Pendant ce temps, alors que les partenaires font la cour aux FDLR, il y a des gens qui sont sans ambiguïté prêts à les combattre ainsi que quiconque qui leur fournit de l’aide, pour des raisons bien évidentes. Il est clair que le partenariat SADC-RDC-FDLR-Wazalendo risque de déclencher un conflit plus large dans la région. Espérons que ce n’est pas pour cela que la SADC s’est déployée en RDC.

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