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Le colonisé ne connaît ni la Gauche ni la Droite

Les acteurs politiques du monde occidental considèrent l'Afrique comme un terrain de chasse. Elle n'est qu'une proie, sur laquelle ils ont le droit absolu d'exploitation à l'infini.
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Il est courant dans les médias occidentaux et les milieux universitaires d’exiger que les Africains (en particulier les activistes, les intellectuels et les politiciens) prennent position et s’identifient comme étant de gauche dans tous les discours politiques et économiques. Il leur importe peu de savoir si l’Africain comprend la signification de ces différences identitaires. Et comme les politiques de gauche s’identifient comme progressistes, ouvertes et diversifiés (c’est-à-dire antiracistes, anti-impérialistes, ouvertes à l’immigration, favorables aux réfugiés, etc. surtout dans leurs discours), la Gauche est présentée comme étant plus alignée avec les intérêts du monde colonisé. Ainsi, il va sans dire que les Africains qui interagissent dans les espaces (mondiaux) d’engagement populaire-public (pas seulement dans les médias et les universités, mais aussi dans l’espace des médias sociaux) doivent s’identifier exclusivement comme des amis de la gauche occidentale.

D’autre part, la Droite est présentée comme l’exact opposé de ce que représente la Gauche. Il est donc déconcertant pour un esprit occidental qu’un Africain, un Indien ou un Latino-Américain soit à l’aise avec Donald Trump, Georgia Meloni, Marine Le Pen, Jordan Peterson ou tout autre individu reconnu de droite. L’esprit européen est également déconcerté par le fait que les défavorisés – partout dans le monde – choisissent de ne pas se soucier de la politique identitaire de tout acteur occidental qui cherche à exprimer ses préoccupations. Il y a une demande tacite, parfois manifeste, que les Africains se soucient de savoir qui parle leur langue, notamment en ce qui concerne la décolonisation, l’exploitation, l’immigration et l’intégration. Mais cela tient-il vraiment la route ? Ce qui est incontestable, c’est que tous ces petits détails font diversion et visent à détourner les opprimés des conditions réelles de leur oppression. Quelle que soit leur identité culturelle ou politique – gauche ou droite, conservateur ou progressiste, extrême-droite ou extrême-gauche – les acteurs politiques du monde occidental considèrent l’Afrique comme un terrain de chasse. Elle n’est qu’une proie, sur laquelle ils ont le droit absolu d’exploitation à l’infini.

Dans un récent essai sur la culture “woke”, l’étoffe de la gauche, le comportement prétendument progressiste, le théoricien slovène Slavoj Zizek, démontre en utilisant l’exemple du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le flou, et le caractère factice (son mot) de prétendre être de droite ou de gauche tout en luttant en bout du compte pour la même chose. La lutte des classes dans la société occidentale a été remplacée par la guerre des cultures. Mais c’est la même vieille politique d’exploitation des opprimés. Qualifiant cette situation de paradoxe, Zizek commence par une critique de la culture du “wokeness”. Il écrit :

Le politiquement correct occidental (“wokeness”) a déplacé la lutte des classes, produisant une élite libérale qui prétend protéger les minorités raciales et sexuelles menacées afin de détourner l’attention de son propre pouvoir économique et politique. Dans le même temps, ce mensonge permet aux populistes de l’alt-right de se présenter comme les défenseurs des “vrais” gens contre les élites du monde des affaires et de l’ “État profond“, même s’ils occupent eux aussi des positions au sommet du pouvoir économique et politique. En fin de compte, les deux camps se disputent le butin d’un système dont ils sont totalement complices.

Les mots de Zizek sont explicites et ne nécessitent aucune explication. Mais je vais utiliser la compréhension du président syrien, Bashar Al-Assad, de la politique occidentale (en particulier son point de vue sur Donald Trump et d’autres), pour démontrer la signification des mots de Zizek, et l’inutilité qui émerge d’être impliqué dans la politique d’identité occidentale ou les guerres culturelles. L’activiste africain colonisé ne peut pas accepter d’être enrôlé dans cette hypocrisie.

Le Trump Transparent

On peut décrire Donald Trump comme étant de droite – ce qui signifie que ce n’est pas quelqu’un de bien pour les Africains qui, selon lui, vivent dans des pays de merde. Mais c’est le président syrien Bashar Al-Asad qui, dans une série d’interviews, a résumé la difficulté et l’ambivalence d’essayer d’établir la différence entre les démocrates et les républicains, la droite et la gauche, les conservateurs et les progressistes parmi les systèmes politiques occidentaux et que cela ne signifie rien pour les Africains ou les Arabes soumis à la domination coloniale occidentale. Dans une interview avec le média américain NBC, en 2017, Asad dit avec éloquence à un intervieweur insistant que, de leur point de vue de Syriens – mais aussi de nous tous, misérables de la terre – il n’y a pas de différence entre Barack Obama et Donald Trump : “Vous réjouissez-vous de la fin du mandat du président Obama ?” demande l’intervieweur après avoir rappelé à Asad qu’Obama a mené une politique étrangère visant à le chasser du pouvoir. “Cela ne signifie rien pour nous. Si vous changez d’administration et que vous ne changez pas de politique, cela ne signifie rien“, répond Asad. Il a poursuivi en expliquant que, peu importe que ce soit Bush, Obama, Clinton ou Donald Trump, la politique américaine avait tendance à rester la même envers non seulement leurs ennemis perçus, mais aussi leurs proies ciblées, à savoir l’ensemble du monde non occidental. (Aujourd’hui, leur proie ciblée comprend également l’Europe occidentale).

Revenant en 2019 sur cette même question – qui lui a été posée de nombreuses fois – après avoir assisté à la présidence de Trump, Asad a partagé ce qui était une connaissance commune aux peuples du monde colonisé. En affirmant que Trump était le meilleur président américain, Asad a déclaré (tel que transcrit dans Politico) :

Je vous le dis, c’est le meilleur président américain. Pourquoi ? Pas parce que sa politique est bonne, mais parce qu’il est le président le plus transparent. Tous les présidents américains commettent des crimes et finissent par recevoir le prix Nobel et apparaissent comme des défenseurs des droits de l’homme et des principes américains ou occidentaux “uniques” et “exceptionnels”. Mais ils ne sont qu’un groupe de criminels qui ne représentent que les intérêts des lobbies américains des grandes sociétés d’armement, de pétrole, et autres. [Trump] parle avec transparence pour dire : ‘Nous voulons le pétrole’. Que voulons-nous de plus qu’un ennemi transparent ?

Dans cet exposé succinct, Asad reflète si bien la pensée du reste du monde par rapport aux politiques occidentales à travers le globe. Premièrement, leurs politiques restent les mêmes à travers les régimes successifs, quelle que soit l’identité politique de celui qui est au pouvoir. Qu’il s’agisse de pétrole, de contrôle de l’Afrique, d’ajustement structurel ou autre, tant que les entreprises en veulent, cela devient la politique étrangère standard. Ce point est en fait une gifle au visage de nos soi-disant libéraux et progressistes de gauche – et de leurs aspirants associés parmi les colonisés.  L’absence de différences dans les politiques étrangères occidentales, quel que soit le régime, rend difficile pour les colonisés la distinction entre la gauche et la droite.  Slavoj Zizek, dans l’article cité plus haut, est en fait d’accord avec Asad sur ce point.  Il écrit : “Aucun des deux camps [gauche ou droite] ne défend vraiment les exploités ou ne s’intéresse à la solidarité avec la classe ouvrière. L’implication n’est pas que “gauche” et “droite” sont des notions dépassées – comme on l’entend souvent – mais plutôt que les guerres culturelles ont remplacé la lutte des classes comme moteur de la politique.” Tous ont les yeux rivés sur le prix, la protection des exploiteurs contre les exploités, mais doivent le faire avec un panache qui distrait de manière transparente mais aussi conscrit les exploités dans leur propre exploitation. Pire encore, et c’est le point qu’Asad soulève plus succinctement, il y a la tromperie, l’hypocrisie et les doubles standards de la soi-disant gauche libérale, qui parle d’un bon jeu, cache habilement ses intérêts, tout en exécutant et en maintenant les mêmes politiques terribles que la droite aurait pu mettre en place. Ainsi, dans ce cas, Donald Trump ne devient qu’un mauvais agent de relations publiques, qu’Asad qualifierait de transparent – “un ennemi plus transparent”.

Giorgia Meloni vs Samba Sylla et Pigeaud

Il existe une vidéo très virale dans laquelle la première ministre italienne récemment élue, Giorgia Meloni, s’en prend à la France pour son pillage continu du continent africain.

Connue pour ses positions anti-immigration – qui seraient exclusivement identiques à celles des politiciens de droite – Meloni affirme que si les Français cessaient de voler les ressources des pays africains, les Africains ne seraient pas dans des conditions d’extrême pauvreté qui les obligent à faire ces dangereux voyages vers l’Europe. Non seulement ces voyages mettent leurs vies en danger (beaucoup d’entre eux sont morts), mais ils doivent aussi payer des passeurs qui les font entrer en Europe en douce, notamment via Lampedusa en Italie. Répondant à la colère des Français face à sa politique, Mme Meloni est arrivée sur scène préparée pour un spectacle unique en son genre. Mélodique, presque poétique, sa voix passe par des intensités de voix clairement marquées par l’émotion. Elle est bouillonnante. Montrant le franc CFA (Communauté financière africaine), la monnaie utilisée dans 14 pays africains, Meloni commence :

Cela s’appelle le Franc CFA. C’est la monnaie coloniale que la France imprime pour 14 pays africains auxquels elle applique le seigneuriage et en vertu duquel elle exploite les ressources de ces pays.”

C’est un fait exact, car alors que le reste du monde semble s’être débarrassé du colonialisme direct, la France détient encore 14 pays sous son contrôle direct, alors que ces mêmes pays prétendent être indépendants. Poursuivant son magnifique monologue, Meloni pose le billet de CFA et montre la photo d’un enfant sous terre dans une mine d’or. Elle poursuit :

Voici un enfant qui travaille dans une mine d’or au Burkina Faso. Le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du monde. La France imprime la monnaie coloniale pour le Burkina Faso, qui possède de l’or. En retour, elle exige que 50 % de tout ce que le Burkina Faso exporte finisse dans les coffres du trésor français. L’or que cet enfant descend extraire finit en grande partie dans les caisses de l’État français. Donc, la solution n’est pas de prendre les Africains et de les amener en Europe, la solution est de libérer l’Afrique de certains Européens qui l’exploitent et de permettre à ces gens de vivre de ce qu’ils ont.

De nombreux Africains ont accueilli la colère de Meloni avec joie. Enfin, une voix européenne majeure amplifie ce que nous disons depuis des lustres. Mais dans un étrange retournement de situation, une partie des activistes africains et des amis de l’Afrique (qui eux aussi disent les mêmes choses depuis des années), ont au contraire pris ouvertement leurs distances avec elle, pour la seule raison qu’elle s’identifie ou est étiquetée d’extrême droite. Les plus remarquables d’entre eux sont les activistes Ndongo Simba Sylla et Fanny Pigeaud, auteurs d’un livre récemment publié – intitulé, Africa’s Last Colonial Currency : The CFA Franc Story – dont je suppose Meloni a lu des extraits. Dans une série de tweets (en français et en anglais), ces deux personnes se sont ouvertement distancés de sa rhétorique en déclarant explicitement leur alliance avec la soi-disant Gauche. Il est vrai que Meloni utilise le CFA pour cimenter sa position anti-immigrés (la France n’est pas non plus très accueillante pour les migrants). Mais ce qui est étrange, c’est que Simba Sylla et Fanny Pigeaud, tout en étant d’accord avec elle sur l’exploitation de la France par le biais du CFA, et qui devraient être heureux qu’une voix importante fasse écho à leur campagne, se distancient d’elle au motif singulier qu’elle est d’extrême droite et qu’elle utilise le CFA pour ce qu’ils appellent de la “démagogie” ! C’est troublant.

Bien que je ne sache pas exactement pourquoi ils se soient sentis obligés de répondre (parce qu’elle ne les cite pas), ils commencent par s’en prendre à la gauche française en déclarant “le franc CFA est une sorte de secret honteux et sale pour la France. A quelques exceptions près, la gauche et les médias français ont toujours été silencieux sur cette relique coloniale néfaste et sur l’impérialisme français plus généralement.” Il est important ici que les auteurs reconnaissent que même la gauche et les médias français, qui sont censés être de leur côté, ne se sont jamais sentis obligés de défendre la fin de ce colonialisme depuis sa création en 1945. A partir de là, Simba Sylla et Fanny Pigeaud se déchaînent sur Meloni qui, selon eux, n’est pas un allié : “Pour nous, l’extrême droite n’est pas un allié. Sa ‘popularité’ et sa position apparemment anti-impérialiste plutôt sont un indicateur malheureux de l’état tragique de la gauche européenne/occidentale.” Ils poursuivent : “Le discours de l’extrême droite sur le franc CFA (et le sous-développement de l’Afrique) n’est que démagogie. Elle n’a pris aucune mesure concrète au niveau de l’UE pour mettre fin à cet arrangement monétaire, qui relève de l’autorité juridique des institutions de la zone euro.

Je me demande pourquoi ces militants sont convaincus que leurs alliés doivent être de gauche, juste après avoir reconnu qu’après 75 ans d’existence, la gauche française n’a fait que détourner le regard en se contentant de répéter la propagande du gouvernement français chaque fois que cette question se posait. Il est tout aussi déconcertant de constater que les politiques de l’Union européenne tout entière deviennent une raison de prendre ses distances avec Georgia Meloni. Pourquoi l’absence de politiques de commerce équitable, l’arrangement de la zone euro seraient-ils imputés à ceux qui disent les bonnes choses ? Simplement parce qu’ils sont d’extrême droite ! Ou parce qu’ils disent ces choses pour un tout autre ensemble de raisons. Ne faut-il pas y voir une coïncidence d’intérêts ? Par ailleurs, n’est-il pas vrai que les dures conditions coloniales créées par le CFA en Afrique – et toute l’industrie de l’ajustement structurel – constituent un facteur de motivation majeur poussant les Africains vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Amérique du Nord – pour tenter de toucher les profits de leurs ressources ?

C’est ici que la lucidité de Bachar-Al-Assad et l’exégèse théorique de Zizek prennent toute leur importance : Peu importe qui tient les rênes du pouvoir en Europe ou en Amérique du Nord. Tous, qu’ils soient de gauche ou de droite, conservateurs ou progressistes, ont faim de l’Afrique. Ils en ont besoin pour leur propre survie. C’est leur terrain de chasse. Bien que certains parlent gentiment, soient diplomates dans leur langage et semblent réellement amicaux, il ne s’agit que de relations publiques. Ainsi, un allié peut être l’un ou l’autre, tout comme l’ennemi peut être chacun d’entre eux. Mais ces moments de soutien – quels que soient les intérêts égoïstes qui les sous-tendent – doivent être exploités et utilisés, au lieu que les Africains choisissent leur camp comme si la droite ou la gauche pouvaient être des alliés désintéressés.

 

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