Alors que les combats se poursuivent dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) entre les forces gouvernementales (FARDC) – en coalition avec diverses milices locales et étrangères (dont les génocidaires FDLR), les troupes Burundaises et les mercenaires européens – et les rebelles du M23, il est urgent que les dirigeants Africains de la région des Grands Lacs et au-delà réfléchissent aux conséquences catastrophiques qu’un conflit prolongé pourrait avoir sur la sécurité régionale et les perspectives d’intégration du continent. À cet égard, le président Ndayishimiye du Burundi, qui préside la Communauté de l’Afrique de l’Est, a encore la possibilité de jouer un rôle crucial dans le sauvetage du processus de paix mené par cette organisation régionale. Il est important de donner la priorité aux intérêts de la CAE plutôt qu’aux ambitions du président Tshisekedi de remporter une victoire militaire contre les rebelles du M23, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le Burundi devrait éviter le risque d’un isolement diplomatique qui est susceptible de se produire si son gouvernement continue à fournir des troupes à Kinshasa – sapant ainsi le consensus régional sur la façon de parvenir à une solution pacifique du conflit. Alors qu’en 2012, il y avait un désir généralisé d’isoler le M23 parmi les nombreux groupes armés de l’est de la RDC et de blâmer le Rwanda pour les échecs de gouvernance du Congo, la situation est différente aujourd’hui. Les leaders Africains admettent désormais que, pour parvenir à une paix durable, il faut s’attaquer aux causes profondes de ce conflit récurrent. Ces causes incluent notamment la discrimination, les tueries, et le nettoyage ethnique ciblant les Rwandophones Congolais et les tentatives d’extermination visant les Tutsis congolais.
C’est cette compréhension des causes profondes qui a conduit les chefs d’État de la CAE à élaborer un cadre de résolution pacifique du conflit qui a permis d’imposer un cessez-le-feu et le retrait partiel des rebelles du M23 des territoires dont ils s’étaient emparés. L’intervention du président Angolais Lourenço, il y a six mois, qui, en tant que médiateur de l’Union africaine, a indiqué que les rebelles du M23 s’étaient conformés aux exigences régionales, aurait dû indiquer que la région soutenait fermement le processus de paix mené par la CAE. La décision de l’Angola d’engager des troupes pour superviser le cantonnement du M23 (mais seulement après le succès du processus politique de Nairobi) et la réticence des dirigeants de la SADC à spécifier un calendrier précis pour le déploiement d’une force régionale, ont été autant de signes de ce soutien. Malheureusement, les dirigeants Burundais ont ignoré ces signaux. Leur décision d’intervenir militairement en soutien au refus de Kinshasa de négocier la paix vient anéantir les modestes avancées de la CAE, renvoyant ainsi la région à la case départ.
Deuxièmement, les actions du Burundi risquent d’entraîner des tensions avec le Rwanda voisin puisque les troupes Burundaises combattent non seulement aux côtés des FARDC mais aussi du groupe génocidaire FDLR. Ceci risque de diviser encore plus la communauté est-africaine. C’est l’alliance entre l’armée de la RDC et les FDLR qui alimente des tensions similaires entre Kinshasa et Kigali. Ces tensions doivent être évitées à tout prix, car elles compromettent le rapprochement politique remarquable observé entre Kigali et Gitega depuis l’accession au pouvoir du président Ndayishimiye. Le processus louable de normalisation entrepris par les dirigeants des deux pays a permis aux Burundais et aux Rwandais de traverser leurs frontières sans crainte de persécution ou de harcèlement. Il serait désastreux que ces acquis soient remis en cause.
Troisièmement, Gitega n’a pas grand-chose à gagner dans cette alliance avec Kinshasa. Les gains financiers qui pourraient en découler peuvent être attrayants pour certaines sections de l’élite politique Burundaise, mais ils ne valent pas leur pesant d’or. Contrairement à ce qui s’est passé en 2012, il est peu probable que le gouvernement de la RDC et ses partisans parviennent à vaincre militairement le M23. Les rebelles sont non seulement bien armés, entraînés et motivés, mais ils sont également mieux préparés à la guerre. Les revers militaires subis par l’armée congolaise et ses alliés et la capture par le M23 de plus d’une centaine de soldats burundais au cours des récents combats, selon des sources fiables, en témoignent. De plus, au Nord-Kivu, les troupes Burundaises sont éloignées de leurs bases et ne peuvent compter que sur les FARDC pour leur logistique et leur ravitaillement. Compte tenu de la corruption endémique des institutions étatiques de la RDC, les FARDC ne sont pas un partenaire fiable. L’une des voies d’approvisionnement naturelles du Burundi aurait été le Rwanda, via la ville de Goma. Cependant, il est peu probable que le Rwanda coopère avec un acteur régional dont la collaboration avec son ennemi juré, les FDLR, est indéniable.
En outre, en se projetant si loin de son territoire, le Burundi crée un vide sécuritaire dans le Sud-Kivu, où il a un intérêt plus légitime à neutraliser les groupes armés qui menacent sa propre sécurité et sa stabilité politique, tels que Red Tabara et les FNL. Pour toutes ces raisons, les dirigeants burundais doivent évaluer les risques d’une insécurité généralisée dans la région et choisir judicieusement entre la poursuite d’intérêts financiers et travailler en concert avec la région pour assurer la sécurité collective des États membres de la CAE. Les accords bilatéraux de sécurité, comme ceux conclus entre l’Ouganda et la RDC ou entre le Burundi et la RDC, répondent aux menaces sécuritaires légitimes auxquelles sont confrontées Kampala et Gitega. Ils ne doivent pas servir de couverture pour saper l’intervention militaire de la CAE et le processus de paix en RDC. Par conséquent, s’impliquer dans l’aventurisme militaire de Kinshasa et menacer la sécurité du Rwanda dans ce processus ne devraient pas figurer à l’ordre du jour des dirigeants politiques de la région.
Le processus de paix de la CAE avait redonné espoir à de nombreux Congolais, y compris aux personnes déplacées à l’intérieur du pays et à celles qui se trouvent dans des camps de réfugiés au Rwanda et en Ouganda. Les dirigeants Africains avaient pris leurs distances par rapport aux récits trompeurs et intéressés promus par des acteurs occidentaux. Ces derniers ont alimenté le conflit en soutenant les tentatives désespérées de Kinshasa de trouver un bouc émissaire et ont choisi à plusieurs reprises d’ignorer la discrimination à l’encontre des Rwandophone Congolais comme l’une des causes profondes de la crise congolaise. La décision du Burundi de rompre les rangs et de participer à des actions qui sapent davantage la paix et la stabilité en RDC a éteint cet espoir. Il n’est peut-être pas trop tard pour que le gouvernement Burundais change de cap, réaffirme sa neutralité, ordonne à ses troupes de reprendre leur mandat de maintien de la paix et tente de sauver la crédibilité du bloc regional. Dans le cas contraire, il sera extrêmement difficile pour le président de l’EAC de convoquer le prochain sommet des chefs d’État pour discuter des solutions à la crise de la RDC si le Burundi est considéré par la région comme faisant partie du problème.