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Est-il jamais trop tard pour rendre des comptes ? Le Royaume-Uni refuse de rendre justice aux victimes de la marée noire dans le delta du Niger

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Le 10 mai 2023, la Cour suprême du Royaume-Uni a jugé qu’il était trop tard pour poursuivre la société anglo-néerlandaise Shell Nigeria Exploration and Production Company (SNEPCO) au sujet de la marée noire de Bonga survenue le 20 décembre 2011. Un groupe de 27 800 personnes et 457 communautés travaillant par l’intermédiaire de la National Oil Spill Detection and Response Agency (NOSDRA), l’agence principale du gouvernement nigérian chargée de veiller au respect de la législation environnementale dans le secteur pétrolier nigérian, avait demandé que SNEPCO (également connue sous le nom de Shell) soit condamnée à une amende administrative de 5 milliards de dollars américains pour les dommages environnementaux causés par un déversement de pétrole sur son champ pétrolier offshore de Bonga en 2011. L’arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni a rejeté les demandes manifestement valables du groupe sur la base d’un vice de forme, prouvant une fois de plus que l’intégrité souveraine du Nigeria et d’autres victimes potentielles sur le continent est compromise s’ils restent à la merci de puissances étrangères et de leurs systèmes juridiques.

Pour commencer, l’arrêt sur la marée noire de Bonga va à l’encontre de la pensée naïve et largement répandue dans certains milieux selon laquelle le système judiciaire britannique serait un arbitre indépendant et impartial dans les affaires impliquant des intérêts britanniques. En tant que branche clé du gouvernement britannique, la Cour suprême du Royaume-Uni est complice de la volonté néo-impérialiste des établissements britanniques en Afrique et ailleurs. Le fait que la décision de la Cour ne se base pas sur la substance du dossier mais sur la forme est une preuve évidente de cette complicité.

Tenez ! Les plaignants nigérians victimes des effets dangereux de la marée noire de Bonga soutiennent que leur littoral ainsi que la mer et la vie aquatique ont subi – et continuent de subir – l’impact dévastateur d’une fuite dans le champ pétrolifère de Bonga qui a déversé 40 000 barils de pétrole brut dans le domaine maritime du golfe de Guinée. La fuite s’est produite au cours d’une opération de fret nocturne, alors que le pétrole brut était transféré de la station flottante de production, de stockage et de déchargement de Bonga à travers la bouée d’amarrage à point unique, puis à bord d’un pétrolier en attente. Il convient de noter que l’amende administrative de 5 milliards de dollars US demandée par le groupe est conforme aux meilleures pratiques puisque des actions similaires ont déjà été engagées contre des infractions commises par des sociétés pétrolières dans d’autres pays producteurs de pétrole tels que le Brésil, le Tchad, l’Arabie saoudite et les États-Unis.  En juin 2022, par exemple, la société Great Lakes Dredge & Dock Company a été condamnée à une amende d’un million de dollars américains pour avoir causé par négligence le déversement d’une quantité nocive de pétrole dans une eau navigable des États-Unis, en violation de la loi sur la propreté de l’eau (Clean Water Act). Cependant, plutôt que d’examiner la validité des affirmations des plaignants nigérians, la Cour britannique a choisi de rejeter leurs demandes au motif technique que les appelants avaient déposé leur plainte après l’expiration d’un délai légal de six ans.

Pire encore, bien que la Cour suprême ait reconnu que la marée noire de 2011 était l’une des plus graves de l’histoire de l’exploration pétrolière au Nigeria, elle a estimé qu’il s’agissait d’un événement ponctuel, et non d’une nuisance continue. Il s’agit là d’un camouflet pour les populations qui sont toujours affectées par la pollution orchestrée par la marée noire de Bonga sur les terres et les cours d’eau, qui continue d’exercer des effets néfastes sur les cultures, la pêche, l’eau potable, les forêts de mangrove, les moyens de subsistance et les sanctuaires religieux de la région.

En outre, l’interprétation douteuse de la Cour sur les nuisances causées par les activités de Shell néglige éhontément l’histoire tragique de la pollution due aux déversements de pétrole et aux incendies de puits de pétrole dans la région, causés par Shell et d’autres compagnies pétrolières multinationales, notamment Agip, Chevron, Elf et Mobil, qui sont également restées des acteurs actifs de l’industrie extractive nigériane. Par exemple, le rapport 2011 du Programme des Nations Unies pour l’environnement montre clairement que Shell ne fait pas assez pour nettoyer les déversements de pétrole et remettre en état les infrastructures pétrolières délabrées dans le delta du Niger, en particulier dans l’Ogoniland.

En outre, les activités d’extraction de ces multinationales ont causé de graves dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux dans le delta du Niger. L’extraction du pétrole brut a entraîné la pollution du bassin fluvial et des terres environnantes, la destruction des cultures de subsistance et l’expropriation des résidents locaux de ces territoires. L’extraction de pétrole par ces compagnies au Nigeria est à l’origine de fréquentes marées noires, de la contamination de l’environnement atmosphérique, de la perte de biodiversité, de l’insécurité alimentaire, de la dégradation esthétique et de la perte de paysage, de la contamination des sols, du débordement des déchets, de la perte de couverture végétale, de la pollution des eaux de surface et des eaux souterraines, de la perturbation à grande échelle des systèmes hydrologiques et géologiques, des incendies, de l’érosion des sols et du réchauffement de la planète.

En effet, les activités de Shell et d’autres multinationales pétrolières au Nigeria ont fait plus de mal que de bien aux communautés riveraines du delta du Niger. Ces activités ont également entraîné d’autres problèmes sanitaires et psychosociaux tels que des accidents, des radiations, la malnutrition, des maladies et accidents professionnels, des mouvements de protestation, des décès, le stress, la dépression et le suicide, des problèmes de santé liés à l’alcoolisme, la baisse de la fertilité, l’apparition et la propagation de maladies infectieuses.

Compte tenu des preuves vérifiables de la destruction écologique du delta du Niger, due en grande partie à la marée noire de Bonga en 2011 et aux autres activités d’extraction de Shell et des multinationales pétrolières alliées dans la région, il est scandaleux que la Cour suprême britannique ait estimé que la marée noire n’était pas une nuisance continue et qu’elle était donc prescrite, même si ses effets sont encore très répandus. Plutôt que d’envoyer un message à toutes ces entreprises occidentales comme l’aurait fait un tribunal nigérian ou africain, la Cour suprême a choisi de protéger les intérêts économiques britanniques en mettant une entreprise britannique à l’abri de toute responsabilité.

Il ne fait aucun doute que la base largement déraisonnable du jugement du tribunal a été rendue possible parce que le tribunal britannique exerce une juridiction internationale sur les activités criminelles de Shell dans le delta du Niger. Ce positionnement n’est motivé par rien d’autre que la protection les intérêts économiques britanniques à l’étranger. Toutefois, dans le contexte de la jurisprudence internationale, les allégations concernant des plaignants nigérians en litige avec une filiale anglo-néerlandaise au Nigeria, pour des faits qui se sont déroulés au Nigeria, devraient être entendues au Nigeria en vertu des lois municipales nigérianes.

Globalement, ce jugement défavorable a également été rendu possible parce que l’État nigérian et ses agences ont toujours montré leur faible capacité institutionnelle à contraindre les compagnies pétrolières multinationales à adhérer aux lois en vigueur contre la pollution pétrolière dans le pays. Ce déficit de capacité a encouragé ces compagnies pétrolières à opérer au Nigeria d’une manière qu’elles ne peuvent même pas envisager dans leurs pays d’origine.

Compte tenu de ce qui précède, il est grand temps que le gouvernement nigérian défende ses citoyens et demande justice à Shell et aux autres multinationales pétrolières opérant dans le pays. En particulier, le gouvernement devrait faire pression sur Shell pour qu’elle assume la responsabilité de la marée noire résultant de ses opérations dans le delta du Niger. Les sociétés fautives devraient non seulement être condamnées à une amende conformément à la réglementation en vigueur au Nigeria, mais aussi à une indemnisation adéquate des personnes et des communautés qui ont été soumises à de multiples désastres environnementaux, sanitaires et psychosociales insupportables en raison de la marée noire de Bonga et d’autres incidents connexes.

Permettre à Shell de poursuivre impunément la destruction écologique du delta du Niger est inacceptable et ne donne pas une bonne image du Nigeria au sein de la communauté des pays producteurs de pétrole. Le gouvernement nigérian, par l’intermédiaire du NOSDRA et d’autres agences, devrait avoir le courage d’affirmer son autorité souveraine en activant ses lois pertinentes contre la dégradation de l’environnement causée par les activités des compagnies pétrolières multinationales dans le pays.

 

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