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Des agendas de conquête et de colonialisme derrière le cadre de biodiversité approuvé par l’ONU

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L’ONU a finalement approuvé le Cadre mondial pour la biodiversité (CMB) de Kunming-Montréal. À première vue, ce cadre semble inoffensif. Cependant, pour ceux qui connaissent les préoccupations des pays en développement en matière de justice climatique, il est clair que l’ONU a effectivement approuvé les efforts visant à dépouiller les Africains de leurs droits sur leur patrimoine naturel.

La façon dont la préservation de la nature s’est débarrassée du manteau altruiste qu’elle a si bien porté pendant près d’un siècle et demi en est une preuve. Les organisations de préservation de la nature ne cachent plus leurs bailleurs de fonds sous de joyeuses déclarations sur de généreux “dons” fortuits. Elles font désormais ouvertement référence à leurs transactions financières en utilisant le terme  d'”investissement” lourd de sens. L’alliance qui a commencé au milieu du 20e siècle comme une relation légèrement bienveillante avec les vieilles fortunes et qui était basée sur les intérêts personnels des donateurs et leurs affinités pour certaines espèces sauvages a maintenant évolué en un partenariat incestueux avec des requins d’entreprise, nouveaux riches, uniquement intéressés par la marchandisation de tout, y compris de l’élément omniprésent qu’est le carbone. En d’autres termes, 2023 est une année charnière en termes de droits des populations humaines dans le Sud.

Ensuite, il y a le refus de reconnaître les préoccupations des pays en développement concernant l’absence d’un mécanisme de financement dédié qui aiderait tous les pays à atteindre les objectifs fixés par le CMB. Ceux d’entre nous qui ont des collègues et amis scientifiques étroitement impliqués dans les aspects techniques des discussions sur la biodiversité mondiale ont le privilège de jeter un regard sommaire sur la rhétorique absurde qui fait la réputation de ces discussions. Lors de récentes conversations avec ces connaissances, nous avons été stupéfaits d’entendre les profondes inquiétudes de plusieurs sources différentes sur le fait que lors de la CoP15 (le dernier talkshop environnemental qui s’est récemment tenu au Canada), l’Afrique a été expressément exclue du CMB. L’un de mes amis a observé à juste titre que nos prédictions (plutôt sombres) concernant le mouvement de conservation de la biodiversité étaient en train de se réaliser. Les pratiques corrompues et les préjugés de ce mouvement ont été longuement discutés dans les années 2010, lorsque les intérêts occidentaux en matière de préservation de la nature s’efforçaient encore de cacher leurs desseins néocoloniaux sur l’Afrique. Nos scientifiques n’ont pas compris que le CMB est essentiellement un mécanisme de financement pour l’extraction de ressources intellectuelles sur la biodiversité et l’acquisition de droits sur les ressources de la biodiversité qui doivent nécessairement être exploitées in situ. Ce qui est donc surprenant, ce n’est pas que l’Afrique ait été exclue du CMB, mais plutôt le fait que les scientifiques africains s’attendaient à être inclus dans un programme destiné à financer l’annexion des terres africaines et l’extraction des ressources. Il est surprenant de voir comment des scientifiques hautement qualifiés sont incapables de comprendre les dimensions humaines, historiques et politiques de la science lorsqu’ils doivent réfléchir à leur travail. C’est la définition du “doctorat sans philosophie” (Jeux de mots avec Ph.D ou doctorat en anglais).

Cette incapacité est-elle le résultat d’une pure nonchalance, ou d’une servilité bien rodée et délibérée à l’égard d’empires perdus que nous pensons toujours meilleurs que nous ? Il se peut en fait que ce soit un peu des deux. Malheureusement, nos systèmes éducatifs “en silo” créent une classe d’universitaires qui ne sont pas des penseurs, mais essentiellement des fonctionnaires des systèmes ou des intérêts qu’ils servent à ce moment-là – des docteurs sans philosophie qui devraient guider par leurs contributions l’humanité. Si nos scientifiques s’autorisaient à apprendre plus en sciences humaines, ils sauraient que les modèles de consommation capitalistes ont créé la crise et l’ont imposée au reste d’entre nous. Les profits colossaux qui ont découlé de l’industrialisation et de la consommation capitaliste n’ont jamais été partagés avec le Sud au cours des 19e et 20e siècles. En fait, le pouvoir sans entrave qui accompagnait ces profits a été le moteur des génocides et de l’oppression violente des peuples autochtones dans le monde entier. Maintenant que le changement climatique est arrivé et a tourné en dérision toutes nos frontières internationales et économiques, ces intérêts poussent l’agenda de la “responsabilité collective” qui masque leur culpabilité, tout en exigeant que nous sacrifions nos vies, nos moyens de subsistance et nos maisons dans le cadre du processus d’atténuation des dommages. En tant qu’intellectuels, nous devons rendre à César ce qui lui est dû – et reconnaître que ce plan est si insidieux que dans la plupart des pays africains, les gouvernements et les organes de l’État agissent comme des demoiselles d’honneur, ouvrant la voie à nos colonisateurs pour établir leurs nouveaux empires.

Pendant ce temps, ceux qui dénoncent ce plan ont souvent été qualifiés de “radicaux”, “alarmistes”, “controversés” et même pire pour la rigueur avec laquelle ils examinent le culte mondial qui se fait appeler le mouvement de préservation de la nature. Certes, les impacts environnementaux négatifs des activités humaines sont indéniables, tout comme les signes trop évidents du changement climatique. Cependant, ce qui est le plus effrayant dans la “crise environnementale” actuelle, c’est l’empressement et la rapidité stupéfiante avec lesquels elle est utilisée pour faire avancer les anciens agendas de la conquête, du capitalisme et du colonialisme. Pourquoi ces agendas sont-ils invisibles pour les Africains ? Eh bien, je peux penser à une raison principale.

L’humanité vit actuellement dans une époque que j’ai baptisée “idiocène” ou âge de l’illettrisme, où la lecture et la pensée sont remplacées par la perception et les réflexes. La régurgitation de ce que nous appelons par euphémisme “contenu” est souvent confondu avec une communication cohérente, et ce qui est important nous échappe régulièrement dans le barrage de bruit qui s’abat sur nos sens sous couvert d'”information”. La plus grande ironie et le plus grand indicateur du déclin intellectuel du monde est que nous acceptons maintenant une situation où l’intégrité de l’environnement mondial et, par extension, notre propre survie est placée entre les mains des capitalistes. Au départ, les mesures incitatives mises en place par les gouvernements pour encourager les “dons” à l’environnement ont entraîné l’octroi de sommes incalculables à des “organisations de préservation de la nature” qui ne produisent rien de tangible. L’inévitable gonflement de ces organisations a suivi, et leurs objectifs se sont transformés d’objectifs environnementaux en objectifs financiers.

L’indicateur probablement le plus révélateur de cette tendance est que, The Nature Conservancy a engagé Mark Tercek, un ancien directeur général et partenaire chez Goldman Sachs, comme PDG de 2008 à 2019. On peut se demander quelles compétences en matière de préservation de la nature un banquier d’affaires pourrait transmettre et, plus important encore, comment ce qui est vaguement qualifié d’organisation “caritative” peut offrir une rémunération suffisante pour recruter le directeur de l’une des plus grandes banques d’affaires du monde. Les grandes entreprises capitalistes ne sont pas des organisations caritatives et ne l’ont jamais été. Le Sud se réveille donc tout juste maintenant au fait que ce qu’ils pensaient être des subventions sont en fait des investissements, qui doivent être récupérés sous la forme de droits sur les terres et les ressources naturelles. Étant donné qu’il y aura une résistance féroce contre de telles entreprises, la violence est maintenant une exigence absolue pour que les capitalistes obtiennent leurs rendements et pour que les “préservationnistes” maintiennent le flux financier nécessaire au maintien de leurs organisations “à but non lucratif” gonflées et de leurs styles de vie idylliques dans “la nature sauvage”.  Toute personne ayant une connaissance rudimentaire de l’histoire impériale européenne reconnaîtra instantanément la réincarnation contemporaine du colonialisme du 19e siècle. Les étudiants en histoire de l’Afrique connaîtront la fameuse conférence de Berlin de 1884-85 où un groupe d’ européens a prétendu se partager l’Afrique entre eux. De telles réunions sont une nécessité absolue car, sans elles, ce genre d’usure à l’échelle continentale peut dégénérer en un conflit militaire.

À l’époque moderne, les conférences internationales sur l’environnement sont les forums de ce marchandage. Ces dernières années, les réunions régulières de la Conférence des Parties (CoP) ont rempli cette fonction, les organisations mondiales, y compris l’ONU, étant cooptées dans la combine. L’autre effet de ces rassemblements réguliers est la mise à disposition d’une plate-forme pour la création et la promotion des clichés nécessaires pour donner des illusions de probité. Il s’agit notamment de termes comme “neutre en carbone”, “net zéro”, “financement de la préservation de la nature” et “nature positive” qui ont trouvé leur place dans le langage international pour laver l’injustice sans trop de questions. Une fois que ces clichés sont pleinement développés, des scientifiques complaisants interviennent pour aseptiser le fascisme qui en résulte par le biais du monde universitaire et des publications à comité de lecture. Un exemple de ceci est la publication datant de 2022 maladroitement intitulée “La surpopulation est une cause majeure de la perte de biodiversité et des populations humaines plus petites sont nécessaires pour préserver ce qui en reste”, publiée dans le journal “Biological Conservation” et rédigée par Philip Cafaro, Pernilla Hansson et Frank Gottmark de l’Université d’État du Colorado et de l’Université de Göteborg. Sur le plan philosophique, ce sont les faits auxquels tout scientifique réfléchi du Sud doit faire face. Plus de 80 % de la biodiversité mondiale se trouve sous les Tropiques, de sorte que le point de mire implicite de cette “recherche” sur la population humaine est le peuple noir et brun qui habite ces terres. Ces “chercheurs” sont basés dans les meilleures universités du Nord et écrivent dans une revue à fort impact sous la bannière d’Elsevier, l’un des plus grands éditeurs scientifiques du monde. Il n’y a rien de “marginal” dans ce travail ; c’est un courant dominant. Pour ceux qui ne seraient pas encore conscients des préjugés et de la malveillance qui sous-tendent le “mouvement” environnemental mondial, voici quelques pépites de connaissances provenant de personnalités clés lors de la réunion de la CoP15 qui vient de se terminer au Canada ;

“L’humanité est devenue une arme d’extinction massive” : António Guterres, Secrétaire général de l’ONU. Cette déclaration dans son discours d’ouverture a un ton fasciste inquiétant venant d’une personne dans sa position. Elle témoigne également d’une profonde dissonance cognitive de la part du chef de l’organisation qui serait ostensiblement responsable du bien-être des personnes déplacées par le plan de préservation “30 x 30”.

“30 % n’est pas un chiffre aléatoire” : Justin Trudeau, Premier ministre canadien. Il faisait référence au plan 30×30 qui vise à ce que 30 % des terres soient protégées d’ici 2030. Cependant, ceux qui lisent savent qu’il n’a aucune base scientifique et que ses architectes ont juste tenté de créer une version moins ridicule de la théorie de la “demi-terre” d’Edward Wilson. De plus, un chef de gouvernement dans une colonie avec des populations autochtones déplacées devrait nécessairement être plus circonspect lorsqu’il s’agit de parler de la prise de terres aux autochtones.

“Plus il y a de gens, plus nous mettons la Terre sous forte pression… Nous sommes en guerre contre la nature” : Inger Andersen, directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement PNUE. Encore une fois, le détournement habituel de la responsabilité loin des modèles de consommation capitalistes et des émissions produites par les pays industrialisés, tout en vilipendant les populations autochtones du Sud.

En tant qu’Africains d’aujourd’hui, nous devons comprendre que ceux qui nous ont colonisés ne peuvent pas soudainement avoir nos intérêts à cœur, et que les intérêts capitalistes qui nous ont exploités ne peuvent pas soudainement être généreux envers nous. Si nous devons nous engager, ce doit être en tant que partenaires et non en tant que clients. Cette erreur fondamentale est à l’origine de notre réticence à regarder en face le monstre du racisme dans la préservation de la nature. Le silence assourdissant et le déni qui l’entourent sont autant une menace pour notre humanité que le vice lui-même. Il suffit de regarder la diversité raciale (ou son absence) parmi les dirigeants mondiaux, les philanthropes et les soi-disant “scientifiques” qui poussent l’agenda écofasciste. Il y a une conversation que nous, les gens du Sud, devons avoir de toute urgence avec le Nord aujourd’hui. Ce n’est en aucun cas une conversation facile, mais l’alternative ne mérite pas qu’on y pense.

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